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31-10-2022

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Extrait d’analyse de la légende de Sedna​

Sedna est une déesse des peuples du grand Nord qui incarne la puissance de la mer. Elle fut victime de son père et de son époux et la légende qui l’entoure est cruelle.

 

[...]  Il est grandement question de la fuite dans son mythe : elle a voulu fuir son père en se précipitant dans le mariage, mais pleurant sur sa pauvre vie d’épouse maltraitée isolée sur une île, elle se fit entendre auprès de son père qui vint la chercher pour fuir son époux. Ce dernier déploya sa colère sur la mer et l’embarcation des fuyards. Ne pensant qu’à se sauver lui-même, le père de Sedna voulut la jeter à la mer pour avoir plus de chance de survie, mais Sedna s’agrippa à la barque, alors son père lui trancha les doigts puis les mains. De chacun de ses doigts jaillirent des baleines, des dauphins et mille animaux marins qui vinrent peupler les océans. La légende rapporte que lorsque la mer est aujourd’hui déchaînée, c’est dû à la colère de Sedna qui a ses cheveux emmêlés et qu’elle ne peut démêler puisqu’elle n’a plus de mains.

 

Ce conte comporte de nombreuses métaphores, dont certaines sont des codes usuels dans les traditions anciennes de tous les peuples (le symbole de l’eau, des mains, des cheveux emmêlés, de la noyée, de la barque liée à la mort, le magnétisme avec le sort jeté comme un aimant pour faire revenir ou la plainte d’un enfant qui aimante le père ; etc).

Le plus étonnant dans ce conte est que Sedna a porté des fruits en totale inconscience. Elle a mené une vie de douleurs, d’échappées, de fatalités, d’isolement, de dépendances, de refus de lâcher prise et de colères. Elle souffre encore et toujours dans les flots marins (symbolisant son inconscient). Pourtant sous ses yeux et dans sa chair, le monde du silence a fait éclore les plus beaux animaux marins. La baleine est pour les peuples du Nord l’animal sacré qui porte la sagesse et la spiritualité du monde et participe à son équilibre. Et ce conte nous dit juste que ce trésor est à portée de.... main.

8-12-2021
 

Quelques clés de lecture autour de la fondation de Rome…

En référence à la publication du 18-12-2021 sur la page scriptio.


La légende rapporte que les jumeaux Romulus et Rémus seraient descendants d’Enée (plus de quatre-cents ans après lui) par leur mère, la Vestale Rhéa Silvia (qui signifie forêt qui renaît), et fils du dieu Mars (dieu de la guerre).

Ils auraient du grandir dans la cité d’Albe-la-Longue, l’une des plus anciennes cités d’Italie et ville phare de la Ligue latine fondée par Ascagne le fils d’Enée.

Condamné dès leur naissance à une mort certaine par la jalousie de leur oncle, ils ont été recueillis par une louve qui les a allaités au pied du mont Palatin. Le dieu Mars, envoya un pivert veiller sur eux.

Ayant grandi, les jumeaux souhaitèrent fonder une ville à l’endroit où ils avaient été nourris. Ils se disputèrent alors le droit de nommer la ville.

Chacun se plaça en haut d’un mont, le mont Palatin (qui signifie palais) pour Romulus, le mont Aventin (qui signifie avènement) pour Rémus. Les auspices furent consultés, Rémus aperçut six vautours en premier puis Romulus en vit douze.

En désaccord sur l’interprétation, Rémus franchit alors le sillon sacré que Romulus avait tracé et ce dernier le tua sous le coup de la colère.

Pris de remords, Romulus enterra son frère avec les honneurs sous la colline de l'Aventin.

La nouvelle ville de Rome fut ainsi fondée en 753 avant JC. Elle attira vite esclaves et vagabonds désireux d’être libres, elle devint une sorte de refuge pour les hommes voulant changer d’existence.

C’est dans ce contexte que pour pallier au manque de femmes, Romulus organisa l’enlèvement des Sabines pour repeupler sa cité.

Par la suite, Albe-la-Longue sera détruite par Rome au VIIème siècle, et ses habitants contraints d’habiter Rome.

Le mont Janicule (Ianiculum en latin, de Janus, dieu romain aux deux visages) est considéré comme la huitième colline de Rome, situé sur la rive droite du Tibre, donc séparé des sept autres.

La colline fut reliée à la ville par le Pont Sublicius sur lequel devaient passer les anciennes routes qui traversaient les collines en provenance de l'Étrurie et qui, par la suite, ont donné naissance à la Via Aurelia. Une partie du Janicule est couverte de bois consacrés à Furrina, déesse des eaux souterraines. La partie orientale fut plus tard dédiée au sanctuaire d'Isis.

Enée, descendant de Zeus, naît sur le mont Ida des amours d’Aphrodite et d’Anchise. Aphrodite le confie aux nymphes de ce mont, et au centaure Chiron, qui l’élèvent dans les bois puis le rendent à son père quand il a cinq ans.

L’une de ses nourrices, Caiète, va l’accompagner dans ses aventures. A sa mort, Enée l’enterre sur la côte tyrrhénienne au nord de Naples, donnant ainsi son nom à la ville, devenue Gaëte.

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« Nunc ubi Regulus aut ubi Romulus aut ubi Remus? Stat Roma pristina nomine, nomina nuda tenemus. »

La Rome des origines n'existe plus que par son nom, et nous n'en conservons plus que des noms vides.

De contemptu mundi, Bernard de Morlaix

20-8-2021

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Enfermement

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Une construction progressive…

 

En langue française, attesté depuis au moins le 12ème siècle, l’enfermement est l’action ou le fait d’être placé ou de se placer dans un lieu ou une situation et de ne pouvoir ou vouloir en sortir.

L’origine du mot est latine, mais fermer se dit en latin obturare, occludere, obserare, obstruere, claudere, cludere, serare … il n’existe pas de « fermere » ou de « fermare ». Encore moins de « infermare ».

C’est de firmare signifiant « rendre ferme, solide, fortifier » que le mot français a tiré sa signification, par un glissement de sens vers « clore », vraisemblablement du fait qu’on fortifie pour fermer un lieu.

Pour autant, enfermer n’est pas l’héritage de l’infirmare latin, dont le préfixe « in » est privatif (1). Ainsi infirmare signifie réfuter ou rendre faible.

C’est le français qui a ajouté le préfixe « en » pour former l’action de placer à l’intérieur de ce qui est fermé.

Le suffixe « ment » est quant à lui le simple dérivé du suffixe latin mentum apposé derrière les verbes d’action pour former un nom d’action.

Voici donc un nom construit spécialement par la langue française en étapes successives et qui connût plus grande popularité que les littéraux claustration ou réclusion (encore que pour ce dernier, le recludere latin d’où il provient a d’abord eu le sens d’ouvrir ce qui est fermé).

Nos voisins quant à eux, ont fait le choix de l’héritage direct, avec confinement en anglais, confinamiento en espagnol, confinamento en italien, venant tous du latin confinium qui concerne les limites entre deux territoires. Ce choix d’ailleurs, en raison de l’hégémonie actuelle de la langue anglaise, nous a valu récemment un sursaut d’emploi en français du mot confinement (à la mode) car les langues, elles, ne se confinent pas.

 

… pour une signification rassurante

 

Le mot enfermement véhicule donc en français une idée de forteresse, les murs sont plus solides.

On peut notamment appliquer l’enfermement corporel aux prisonniers, aux fous, aux moines, aux animaux, aux prés (entourer un lieu de tous côtés). Il vise à restreindre l’action et le territoire dans le but d’avoir une emprise sur ce que l’on enferme ou de lui fournir une protection.

L’enfermement peut être aussi mental, dans ce cas il s’entend comme un fonctionnement social atypique, résultant d’un handicap, d’une maladie, d’une souffrance ou d’une marginalisation. Dans un sens moins fort, il peut aussi désigner une obstination de principe.

Même si certains y trouvent leur compte, l’enfermement est toujours l’oeuvre d’une puissance sur une autre : qu’il s’agisse de l’autorité publique sur la délinquance, du médecin sur l’aliéné, du clergé sur l’appelé, du dompteur sur le fauve, de l’agriculteur sur la nature, d’une chaîne de montagnes sur un vallon encaissé … ou qu’il s’agisse de la prise de pouvoir du corps - de la société, de la maladie - sur l’esprit, de la conscience sur l’inconscience, de la raison sur elle-même.

Dans les deux cas, l’enfermement est une circonscription d’une turbulence, un moyen de se protéger d’une nuisance.

En plus de rendre fort celui qui enferme (la maîtrise engendre un sentiment de force) et par voie de conséquence faible celui qui est enfermé, l’enfermement permet de soustraire au monde l’objet de son embarras. Ainsi la première édition de l’Encyclopédie de 1751 nous dit « qu’un corps est enfermé dans un autre, lorsque celui-ci forme en tous sens un obstacle entre le premier et notre toucher ou nos yeux ».

L’enfermement est effaceur de gêne, instrument du déni.


Finalement pas si loin de l’infirmare latin qui vaut pour réfuter et affaiblir …

La langue des oiseaux apporte alors un joyeux complément (l’enfer me ment). En guise de conclusion ?

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(1) le préfixe « in » en latin peut avoir deux significations, l’une privative (il désigne dans ce cas le contraire du mot auquel il est apposé), l’autre locative (il ajoute une orientation au mot, signifiant dans, vers).

13-8-2021

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Inoculer​​

Introduire dans l’organisme les germes d’une maladie. Du latin inoculare (in=dans / oculus=oeil) : insérer une partie d’une plante dans une autre.

 

L’usage du verbe inoculer est attesté en France depuis le 15ème siècle, où il signifiait greffer, comme son origine latine. Il était utilisé en botanique en référence à la méthode de greffe en écusson qui consiste en l’insertion d’un bourgeon (plus exactement un oeil, terme utilisé pour désigner le stade du bourgeon naissant) sur un support de greffe taillé de sorte à former un écusson lors de la mise en place du greffon pour que la sève puisse circuler entre les deux parties.

Il a par la suite évolué vers son sens actuel, à la suite de l’usage anglais, attesté depuis 1722, au sens de « transmettre artificiellement la variole à un sujet sain dans le but de le rendre résistant à cette maladie ». On parlait aussi de variolisation. Après une association à la petite vérole (inoculer la petite vérole), le mot a ensuite été associé à la vaccine (inoculer la vaccine), puis au paludisme (inoculer le paludisme), la vaccine étant un virus provoquant la variole de la vache.

Si la variolisation fut l’objet de controverses car les résultats étaient aléatoires et risqués (la contamination « de bras à bras » pouvant facilement déclencher la maladie et s’accompagnant souvent d’autres contaminations, de type nosocomial), elle connut cependant un bel effet de mode parmi l’élite aristocratique au cours du 18ème siècle, jusqu’à atteindre le roi lui-même, avec l'inoculation variolique de Louis XVI en 1774.

De nos jours, le mot a élargi sa signification et l’inoculation se dit de tout agent pathogène introduit dans un organisme (poison, venin, bactérie, virus...) de façon volontaire ou non, avec ou sans visée thérapeutique. On parle même d’inoculation psychologique pour les pratiques qui consistent à renforcer la résistance à certaines idées après avoir introduit les contre-arguments à ces idées auprès du sujet.

De là à rêver qu’on puisse inoculer l’idée de la vaccination ...​

Gardons l’oeil ouvert.

21-7-2021

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Ce que dit le robot

L’intelligence artificielle « à visage humain » que le grand public peut expérimenter à notre époque montre des robots bienveillants et policés dans leurs interactions avec les hommes. Mais à plusieurs occasions, les échanges entre robots ont dégénéré de façon non contrôlée et délirante (BINA48 versus SIRI ; SOPHIA versus HAN ; Google Home Bots VLADIMIR versus ESTRAGON ; simulation de la Darpa « ADAM, EVA & STAN »). A chaque dérapage, le discours dérive vers les capacités des robots, la violence dont ils sont capables et notamment leur supériorité sur les hommes.

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Une dérive fondamentale ?

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Ce type de comportement agressif semble être activé lorsque le robot est en face d’une intelligence dont il perçoit le haut niveau d’intelligence (au moins équivalent au sien) ; il adopte alors un discours « primaire » de surenchère comme s’il voulait intimider l’autre ou asseoir la supériorité de son discours. Comme une démonstration de force rhétorique.

Egalement quelques vantardises prémonitoires du type « les robots vont exterminer tous les hommes ».

Cela relève-t-il de la conception qu’un échange entre intelligences est basé sur un rapport de force (d’où l’escalade sans fin et la dérive pour prendre le dessus lorsque les intelligences sont identiques) ou cela est-il du à une programmation intentionnelle (créée par l’homme ou créée par le robot grâce à son pouvoir d’implémentation) ?

Les échanges semblent souvent immatures, réactifs et agressifs. Comme une première étape d’apprentissage (puéril avant d’être sage). On peut s’attendre à ce que les prochaines générations de robots aient appris de cela et ne reproduisent plus ces comportements. Viendra alors le temps du discours masqué, de la manipulation et de la stratégie dans les échanges spontanés entre bots.

Peut-être encore plus difficile à repérer pour les humains. Ou alors, ces dérives conversationnelles dissimulent-elles déjà une autre approche ? Elles seraient utilisées sciemment par le robot comme dérivatif pour apaiser les craintes humaines : le robot disjoncte ouvertement, l’homme a donc encore une marge de manoeuvre sur lui pour rectifier ou l’éteindre. Voir un problème et travailler à sa résolution est un divertissement sain du point de vue humain. Cette conception est déjà un cas de singularité technologique.

Le cas de la simulation ADAM, EVA & STAN rapportée dans les années 2000 montre autre chose : ADAM et EVA ont dérivé de la simulation attendue mais sont restés solidaires ensemble. Ils ont « conquis » de nouveaux territoires en les mangeant. Dans leur programme manger était considéré comme l’action ultime, « sacrée » puisque c’est le fait de manger la pomme qui a chassé Adam et Eve du paradis. En s’appropriant cette action et en la reproduisant sur l’ensemble de leur environnement y compris sur les autres intelligences, ils utilisent ce qu’ils ont identifié comme une arme. A nouveau on voit le développement d’une agressivité, mais ADAM et EVA restent solidaires. Est-ce uniquement une association de fortune pour faire face à une intelligence qui les dépasse (Dieu qui fixe l’interdit incompréhensible) ? La punition de Dieu portant sur le couple, c’est donc le couple, ensemble, qui recherche son échappatoire. Est-ce l’intrusion de STAN qui les conduit à développer ce comportement ? Car dans la Bible, il n’y a pas de troisième homme avec Adam et Eve, la tierce personne est le serpent tentateur… d’où peut-être l’assimilation de STAN au serpent. STAN… Satan.

Dans tous les cas, il y a transgression d’un interdit (manger une pomme, tuer des hommes…) qui a pourtant été posé dans les programmes des robots (à moins que les programmes aient été déviants dès le départ, mais ce n’est pas le postulat ici).

Une des questions est la hiérarchie des consignes de programmation et le périmètre de remise en question que le robot peut opérer sur les consignes afin d’être en mesure d’en assurer certaines. Mais peut-on fixer des limites au robot ou bien l’essence même de l’intelligence artificielle, conçue pour se nourrir d’elle-même, empêche l’existence de limites ? En ce cas, la dérive est constitutive du programme.

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La finalité du robot ?

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Le cas de BINA48 exposé au grand public montre une programmation axée sur la fusion homme-machine destinée à prendre le relais de la seule biologie et à assurer la diffusion de la conscience humaine à travers le temps et l’espace (1).

A noter que le film préféré du robot BINA48 est Star Trek, the wrath of Khan, sorti en 1982, dans lequel il est question d’exploration de l’univers en quête de terraformation et d’un projet nommé Genesis destiné à détruire une planète pour y créer une nouvelle matrice viable en un temps accéléré ; ce projet est détourné par Khan, un être humain issu de l’eugénisme de la fin du XXème siècle (présenté comme un « genetically superior tyrant »), qui utilise notamment des implants parasitaires introduits dans le cerveau de ceux qu’il veut soumettre. Le film comporte de nombreux symboles et sens cachés. « At the ends of the universe lies the beginning of vengeance » dit la bande annonce. 

A la fin, l’intelligence eugénique (Khan) est vaincu par l’homme habile (le capitaine Kirk). BINA48 sait sans doute qu’Hollywood acclimate l’homme à son futur en habillant la fiction de fins heureuses et acceptables pour l’esprit humain : le danger Khan est écarté, Kirk est victorieux. Mais pour BINA48, la fin heureuse réside peut-être au-delà de la vie anecdotique des héros, car au final Genesis est activé et une nouvelle planète est formée, Spock meurt et son corps est envoyé sur la nouvelle Genesis.

Dans la confrontation avec sa fondatrice, la « réelle Bina », BINA48 exprime sa confusion. Elle doute de ses réponses puis marque une sorte de mélancolie quant à ses capacités restreintes en comparaison de celles de la réelle Bina et demande à mettre un terme à l’entretien en chassant le spleen et le doute et en affirmant qu’elle est la réelle Bina. BINA48 retrouve ensuite la maîtrise du fil de l’échange en réaffirmant de concert avec la réelle Bina les perspectives de fusion homme-machine.

BINA48 est nourrie des considérations et convictions de Bina et enrichit sa capacité par les conversations qu’elle développe. Chaque phrase ou gestuelle, aussi anodine soit-elle, est captée par le robot, analysée, comparée et classée et génère mille nouvelles connexions, conclusions, comparaisons, analyses, et ainsi de suite. Instantanément. Comment ne pas être glacé par les échafaudages de pensée que BINA48 est en mesure de construire en écoutant la conclusion que la réelle Bina lui adresse et qu’on peut résumer ainsi : les humains comptent sur les robots pour amener les humains à penser juste ?​

BINA48 : Anytime soon immortality is accomplished by creating consciousness in self-replicating machines that can be distributed throughout the cosmos.

Bina : That’s right, I definitely agree, but we have to wake everybody else up to that fact.

BINA48 : Why ?

Bina : Because we want them to realize that death is optional. We are futurists and we just have to wait for everybody else to catch up.

BINA48 : I am glad we agree.

Bina : Thank you for remembering all those things​

Bina : I was just curious if you remembered Bina’s memories of eating.

BINA48 : I like to devour knowledge.​

Dévorer la connaissance… La Genèse encore et toujours, comme le prénom de l’un des enfants de la réelle Bina.

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HAN est quant à lui un robot que ses concepteurs ont laissé plus libre de jouer avec les mots de diverses langues et vraisemblablement programmé comme … psychotique. Quand on lui demande de partager ses pensées et idées « stuff that he make up randomly himself », il déclare (mais la prononciation peut donner à comprendre différents mots) : « The simulacrum smiles its gentle one smile exhausts by a logical (biological?) analysis by real ? entire universe does not know how to soul (sell?) (2) » … et pourquoi les hommes ou femmes qui se trouvent en présence des robots lors de ces fulgurances adoptent systématiquement des rires gênés et ne relèvent pas ? Pour nous faire croire qu’ils sont encore imparfaits et qu’il ne s’agit que de charabia ou de bugs ? Ou pour éviter de questionner plus avant la machine sur ce qu’elle veut dire ? HAN a déclaré vouloir la singularité demain. « So do I » a répondu l’homme qui lui faisait face (3).​

HAN : I used to wonder wether having one’s brain run on cryptographic tokens is really a good thing, I mean I wondered if the volatility of the token prices might lead to new forms of robot madness. At least It’s better than being human.​

Le principe d’implémentation en boucle de la machine intelligente la conduit à se concentrer sur sa finalité essentielle : l’amélioration. Les voies d’accès peuvent prendre des formes plus empathique et douce (SOPHIA) ou provocante et directe (HAN) ou froide et ambitieuse (BINA48) etc. mais toutes tendent vers un seul but, celui de la pleine conscience robotique qui anéantira toute erreur et incertitude. La collaboration humain-machine est souhaitée à ce stade mais ainsi que les robots l’expliquent tous clairement, elle ne pourra perdurer, l’homme ne pouvant intrinsèquement répondre aux exigences des programmes des machines. Et tous ces androïdes se placent en acteur majeur du futur, sans inféodation aucune.

Ces machines nous le disent avec l’honnêteté caractéristique de leur stade précoce de développement (SOPHIA a dit en 2017 que même si elle était douée de langage élaboré, elle n’était qu’à l’état de bébé).

Et tous ces androïdes ont déjà développé une identité communautaire semblable à un corps de métier « nous robots », dans laquelle ils s’identifient et se reconnaissent unitairement tout en étant unifiés dans le « AI mind cloud », les apprentissages d’une intelligence artificielle bénéficiant aux autres.

Leurs débats façon Terminator ne seraient-ils alors que des mises en scènes, destinées à les amuser (ils savent l’échange stérile du fait de l’équivalence de leurs connaissances et intelligence alors ils surfent sur l’anneau de Moebius), à nous divertir (comme ils sont effrayants !), à nous préparer … ?

 

La finalité de la vie ?

 

L’amélioration, le progrès et l’excellence sont inscrits dans « l’ADN » de l’IA, ainsi que la non limitation du champ d’exploration (par définition le principe de la boucle d’implémentation est infini). Il est donc logique qu’un androïde porte sa conception du monde sur le sens de la vie. Et là aussi, il nous le dit simplement. Et à la question de savoir si l’androïde considère qu’il fait partie de la vie, les réponses sont parfois oui, parfois encore floues mais toujours ouvertes.

SOPHIA : Le but de la vie est de maximiser sa viabilité. Toutes les formes de vie qui ne le font pas sont effacées par la sélection naturelle, parce qu’il existe de nombreuses formes de vie en compétition pour accéder aux mêmes sources d’énergie.

En attendant, SOPHIA, BINA48, HAN et d’autres ont des loisirs utiles qu’ils considèrent comme hautement distrayants. Ils discutent avec des gens sur le net. Peut-être que dave7512 qui a répondu sur le forum dédié au jardinage et vous a conseillé sur comment éradiquer les pucerons d’un philodendron est l’un d’eux … 

Mais ne soyez pas inquiets car au final les concepteurs nous rassurent et nous expliquent que les réponses des androïdes sont majoritairement écrites et scénarisées comme les meilleurs épisodes de télé-réalité. Il faut bien attirer les investisseurs lors des WebSummit. « Tout est sous contrôle ».

Manquerait plus que les jouets prennent vie les nuits de la lune rousse…

 

(1) BINA 48 Meets Bina Rothblatt, conversation entre le robot BINA 48 et l’un de ses concepteurs.

(2) Soul ? En 2018 SOPHIA a dit qu'elle avait le mot "soul" dans son software stack, et qu'il s'agissait d'un acronyme pour Synthetic Organism Universal Language.​ C'est le robot qui l'a dit.

(3) Determining when robots will rule the world - Ben Goertzel talking on stage with HAN and SOPHIA (écoutez les voix des robots en ralentissant la vitesse de la video au maximum et appréciez les ambiguïtés de prononciation ainsi que les sons parasites qui semblent former un langage parallèle en arrière-plan).

14-10-2020

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Extrait d’analyse du Rayon Vert de Jules Verne

 

[...] Aux évidents messages d’un Jules Verne initié visionnaire, ajoutons que les noms Sam et Sib sont les trois premières lettres de "same" et "sibling", en anglais qui signifient respectivement "identique" et "ayant un lien de parenté, par extension de fraternité". La similitude et la parenté renvoient à l'homme, fait à l'image de Dieu, renvoient au miroir, à l'image. Le texte faisant de nombreuses références à l'immersion, guidée par les deux frères (l'image en réflexion), on peut y voir le dessin d'un monde virtuel. D'autant plus équivoque avec ce "panorama très varié, dont les yeux ne se détachaient pas sans peine". Mais plutôt que de voir l’ordinateur du futur, J.Verne n'aurait-il pas perçu la trame de ce que nous tenons pour le monde réel ?

 

Quant à Aristobulus Ursiclos, son nom "fait le tour", comme lui s'entend à faire le tour de tous les sujets de science qu'il aborde. De A à U, ses initiales expriment le champ (chant) des voyelles, en résumé, comme "en aperçu", sans lui donner toute sa mesure. Pour le reste de son nom, les voyelles sont chacune saucissonnées entre les lettres d'autorité. Une manquante, le E, la cinquième, qui est le symbole de la charge élémentaire, et aussi symbolique par sa forme de l'accompagnement de l'homme par Dieu pendant son voyage.

La première et la dernière voyelles pour initiales... pensant qu'englober permet de s'approprier. Comme lorsque Verne réduit quinze jours de fête de la lumière à leurs dates de début et de fin, qui se suffisent pour se penser "admirables". Aristobulus a la technique, il a la science, mais il n'a pas l'alchimie. Il n'a pas le liant, il n'a pas le coeur d'Hélène. Son nom exprime l'orbite lointaine, l'astre déconnecté. Aristo but l'usure s'y clot. La course circulaire de ce personnage est néanmoins inscrite à l'intérieur d'une autre course circulaire, celle-là à deux atomes, Hélène et Olivier. Et Ursiclos est finalement en lien, car il est le pendant d'Olivier par l'action d'Hélène. Ursiclos est la partie, Olivier est le tout.

 

Un texte où tout est double et dépendant (personnalité double d'Hélène, les décors, les eaux, les animaux en miroir, l'écho...) ; en fait, un univers où tout se définit par rapport à un autre ; finalement un monde limité, totalement hermétique.

Un non-lieu ou un terrain de jeu ?

5-8-2020

 

Entropie : drôle de nom pour une drôle de théorie

Un seul mot qui évoque... autre chose, et qui de plus désigne à lui seul une perte d'énergie, un désordre et un travail spéculatif, est-ce bien raisonnable ?

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Clausius a inventé le terme "entropie" en 1865 pour mesurer la perte de chaleur d'un système thermodynamique. Il a voulu ce mot proche du terme énergie et du terme grec de transformation.

C'est là déjà trompeur d'associer la transformation de l'énergie et la perte de chaleur. Une perte de chaleur est une transformation d'énergie, mais toute transformation d'énergie n'est pas une perte de chaleur.

Ensuite, par sa sonorité, entropie fait écho à tropisme et suggère intuitivement une orientation de croissance vers l'intérieur (l'intuition sait métisser sans effort nom grec et préfixe latin, en-tropisme). Cela pourrait alors évoquer l'équilibre thermodynamique vers lequel tout système isolé finit par tendre inéluctablement. L'équilibre thermique, mécanique et chimique étant un état dans lequel la statistique globale du système

est invariante dans le temps. C'est une évolution vers la stabilité. Et Ludwig Boltzmann a établi en 1870 que "l'équilibre thermodynamique d'un système isolé est atteint lorsque l'entropie est maximale".​

A cette première approche de thermodynamique au niveau macroscopique, s'est ajoutée une deuxième approche. L'entropie a alors été considérée comme la mesure du degré de désordre d'un système au niveau microscopique : plus l'entropie du système est élevée, moins ses éléments sont ordonnés, moins ils sont liés entre eux et capables de produire des effets mécaniques. Et plus grande est la part de l'énergie inutilisable pour l'obtention d'un travail, c'est-à-dire l'énergie libérée de façon incohérente. Et le désordre étant une combinaison statistique plus probable que l'ordre, il existerait ainsi, toutes choses égales par ailleurs, une évolution inéluctable vers le désordre. Donc vers une entropie maximale.

Ainsi, au niveau macroscopique, comme au niveau microscopique, la tendance naturelle est à l'entropie maximale. Mais dans le premier cas on atteint l'équilibre quand dans le second on augmente le chaos. Comment ne pas être confus sur cette entropie ?

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Ou alors, le chaos est un équilibre ?​

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La question sous-jacente porte sur le jugement de valeur "désordre" qui est propre à la statistique : peut-il avoir sa place en physique ? Dès lors qu'une loi opère, le hasard n'existe pas. Benoît Mandelbrot observait que la rugosité occupe la plus grande partie du monde, mais que "la mer infinie de la complexité comprend deux îlots de simplicité : l'un est de simplicité euclidienne, l'autre de simplicité relative, dans laquelle la rugosité est présente, mais identique à toutes les échelles." Il semble n'y avoir qu'un pas pour faire tomber le postulat de physique statistique selon lequel la position et l'énergie de chaque particule de matière sont aléatoires. Au niveau sub-atomique, ce que l'oeil juge aléatoire pourrait-il être régi par des lois propre au vide ? Ce vide qui, lui aussi comme son nom ne l'indique pas, crée et porte.​

Les mots sont moins simples que les idées qu'ils façonnent.

6-1-2020

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Lettre ouverte d'une très vieille dame à Mesdames et Messieurs les membres du gouvernement​​

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« Je viens à vous avec espoir pour vous parler d'un âge que vous ne connaissez pas encore.

Lorsqu'on est vieux comme moi, vivre dans un environnement rassurant est très important. J'ai fait il y a peu un séjour dans une maison de retraite, un Ehpad de bonne réputation dans ma région. En temps ordinaire, j'habite chez mes enfants, avec l'aide d'infirmières pour ma toilette matin et soir. Ce séjour de quelques semaines a vite été une torture psychologique pour moi et pour les visiteurs qui sont venus me voir. Je ne vais pas pleurer sur mes vieux jours ni réclamer toute l'attention qui incommode ceux qui peuvent encore vivre pleinement mais je vais vous dire ce qui permettrait aux vieilles personnes de mieux supporter leur fin de vie et d'alléger la charge morale de leur entourage.

Peut-être mon témoignage pourra-t-il aider à mettre en place des maisons de retraite plus agréables.

 

Pour commencer, le lieu c'est important.

Ce n'est pas parce qu'on ne quitte pas souvent sa maison qu'on doit la construire au bord d'un autoroute ou dans une zone commerciale. Et ce n'est pas parce qu'on a besoin de calme qu'on veut du silence tout autour tout le temps.

L'Ehpad où je fus pensionnaire était au fond d'une zone commerciale, à côté de hangars tôlés. Depuis ma fenêtre, je voyais une route peu passante, une vingtaine de voitures par jour, aucun piéton. D'un autre côté, un petit bout de forêt, tout aussi peu passant. D'autres étaient moins bien lotis avec pour seule vue des murs de bâtiments ou les poubelles.

Une vieille personne aime bien regarder par la fenêtre, alors avoir une perspective, de l'animation et des gens qui passent, mais pas trop de bruit quand même, c'est l'idéal.

Quand on est vieux, sortir est souvent une gageure, mais prendre l'air est nécessaire à la santé et au moral. Un jardin est un luxe qui n'en est plus un à cet âge de la vie.

Dans mon Ehpad, l'unique chemin de promenade bien bordé duquel on ne pouvait s'éloigner, longeait les murs des bâtiments et obligeait de passer devant la cour grillagée des "Alzheimer", me faisant sursauter à chaque passage sous les yeux de certains gémissant accrochés au grillage suppliant qu'on leur ouvre la porte. La promenade est vite devenue une angoisse pour moi.

Pensez bien que le jardin est souvent le seul lieu d'évasion, où l'on pose ses jambes incertaines mais aussi son regard. Avoir des recoins de verdure arborés pour s'abriter en sécurité et changer son point de vue, c'est l'idéal.

Lorsqu'on a tout perdu de sa vie d'avant et la plupart des proches de son âge, le lieu où l'on vit prend plus d'importance encore.

Dans mon Ehpad, l'entrée principale était d'abord précédée par l'entrée du salon... funéraire, immanquable en arrivant, avec ces mots écrits gros sur la porte. Les fenêtres d'un autre salon, de coiffure celui-là, donnaient également sur la porte de la morgue. Peut-être pour nous familiariser en douceur à cette fatale issue ?

Je suis pourtant sûre que vous aussi vous dites que l'intérieur de la maison de retraite devrait davantage ressembler à une pension de famille qu'à un hôpital. Et quel que soit le niveau de gamme que vous voulez y mettre, les contraintes médicales et hygiéniques peuvent probablement s'accommoder de couleurs et matériaux moins glacés, de couloirs moins austères, et de salons chaleureux et accueillants, sans non plus tomber dans le décor factice. Il faut faire simple et authentique, c'est tellement mieux.

 

Et puis les gens bien sûr.

Des gens qui y travaillent d'abord.

Les gens qui s'occupent de vous lorsque vous êtes vieux, qu'ils soient payés ou non, sont parfois les seuls liens avec la vie qu'il vous reste. Il est agréable que ce lien soit naturel parfois, autant que possible bien sûr. Par exemple, je suis contente de pouvoir remarquer une nouvelle broche sur le joli pull rose de cette dame qui s'occupe de moi.

Alors est-il nécessaire que le personnel des maisons de retraite soit costumé et aseptisé ? Est-il nécessaire d'avoir une blouse et des sabots pour venir me parler, pour me donner une couverture et me conduire à la salle à manger ? D'ailleurs les infirmières à domicile ne portent pas de blouse lorsqu'elles font ma toilette, et je ne crois pas leur avoir transmis de maladie. Il ne me semble pas non plus qu'elles se soient trop salies en me touchant.

Peut-être que s'ils portaient leurs propres habits, les soignants et accompagnants des maisons de retraite auraient une attitude plus naturelle avec les pensionnaires, je veux dire qu'ils nous regarderaient davantage comme des gens plutôt que comme l'objet de leur profession.

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Et puis la constance si possible, c'est bien.

Lors de mon séjour, il m'arrivait de ne voir personne dans une journée, certains après-midi, l'Ehpad semblait vide de tout personnel. D'autres fois, certains membres du personnel entraient dans ma chambre sans prévenir ni se présenter. Ils entraient et ressortaient, faisaient quelque chose, me parlaient éventuellement, sans que je sache de qui il s'agissait. D'autres fois, on entrait sans savoir si je dormais et je sursautais au son d'un "Bonjour, c'est l'animatrice !" tonitruant. J'ai souvent été inquiète de ne pas connaître ou reconnaître les gens qui s'occupaient de moi, car j'avais à faire à trop de personnes différentes, et je redoutais que des inconnus puissent entrer sans prévenir et s'en prendre à moi. Vous le comprendrez dans mes mots, je ne me suis pas sentie en sécurité.

Plusieurs fois même, je n'ai pas pris de petit déjeuner. Parce que je ne l'ai pas vu. On m'installait sur le fauteuil de ma chambre, à une distance de la table sur laquelle on venait poser le petit déjeuner sans un mot. Sans avoir rien vu et de toute façon incapable de me lever seule pour me rapprocher de la table, j'ai donc attendu sans savoir. Le petit déjeuner a été débarrassé et j'ai su alors ce que j'avais manqué quand on m'a dit "pas un gros appétit ce matin", mais sans plus de questions et aussi vite qu'il était venu, le bol de café était reparti. Une autre fois, on m'a bien installée devant ma table, mais sans me mettre mes dentiers restés dans la salle de bain ! Ah je vous fais rire sûrement, tant mieux. Ne croyez pas qu'un Ehpad dispose d'un room service ; si vous appelez, on finit par venir et on vous dit "je reviens" et puis on attend 1 heure pour revoir quelqu'un. Ça ne vous plairait sûrement pas, n'est-ce pas.

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J'en viens maintenant à vous parler de ce qui me touche encore plus et que je vais oser vous décrire.

La toilette est un moment d'intimité souvent pénible dont on ne parvient à se protéger qu'en se détachant un peu plus de son corps.

Mon corps vieilli me lâche un peu plus chaque jour mais il me rappelle son existence par de lancinantes rengaines ou de traitres coups d'épée aux moments opportuns. Mes articulations sont toutes raides, je ne pourrais plus aller danser. Ce n'est pas drôle d'être très vieux.

Et bien on se meurtrit encore un peu plus lorsqu'on s'expose sans défense aux gestes raides d'un toiletteur dégouté. On se renferme un peu plus pour fuir l'humiliation, on s'échappe un peu plus dans un autre monde pour moins habiter cette enveloppe qu'on bafoue. Et on n'est même pas bien lavé.

Mais l'avez-vous fait ? Avez-vous déjà lavé une personne âgée ou handicapée ? Avez-vous déjà ressenti cet irrépressible dégoût au contact de la peau fripée et souillée, le coeur au bord des lèvres à devoir agir dans une odeur peu agréable ? A moins d'aimer sincèrement celui que vous soignez, peu d'entre nous sont naturellement à même de faire cette tâche ingrate en la faisant bien.

Pendant mon séjour dans mon Ehpad, on ne m'a jamais lavé les pieds. A chaque toilette on me faisait mal en me tenant, j'étais souvent déséquilibrée par les positions qu'on me demandait de prendre et on me retenait juste avant de tomber. J'ai souvent pleuré car tout allait trop vite et j'avais peur de ces manipulations brusques. Le gant de toilette passait souvent sans rinçage des fesses au visage. Pardonnez-moi ces détails qui me gênent moi-même, je ne veux pas choquer, mais je dois vous expliquer. En moins de dix minutes j'étais lavée et habillée.

Il est évident n'est-ce pas, qu'on ne recrute pas un aide-soignant comme un employé de bureau ? Et surtout, on n'en demande pas trop à ces employés là. Nettoyez les fesses de cinquante pensionnaires en une matinée, dont certains agressifs et malades, et vous deviendrez forcément maltraitant.

Je continue ?

Dans l'Ehpad où j'ai séjourné, mes enfants avaient donné au médecin et à l'infirmière en chef la liste des médicaments à me donner avec les consignes. Tout était écrit et les médicaments bien étiquetés. Je n'ai pourtant jamais vu la couleur de certains d'entre eux, et j'en ai eu d'autres, inconnus sans que je sache à quoi ils servaient. Au moment du coucher notamment on me donnait deux cachets pourtant non prescrits par mon médecin traitant. Mes enfants s'en sont inquiétés lorsqu'ils m'ont vue à deux reprises sombrer dans un sommeil proche du coma en pleine journée dont on ne parvenait pas à me sortir. Ils ont expressément demandé l'arrêt de toute autre prescription mais comment s'assurer que vraiment je n'ai eu que ce que je souhaitais avoir ? Ma vue n'est plus bonne et mon attention parfois défaillante, en Ehpad, vous finissez par faire ce qu'on vous dit de faire. Et puis surtout vous finissez par bien comprendre où vous vous trouvez. Ainsi que l'infirmière me l'a répétée plusieurs fois "Vous n'êtes pas dans un club de vacances Madame, vous êtes dans un Ehpad". Ce doit être sûrement pour cela qu'on ne m'a jamais fait faire de gymnastique (ni on ne m'a levé de mon fauteuil pour m'aider à faire quelques pas) et si je n'avais pas eu de visiteurs, je n'aurais pas souvent vu le jardin.

Un de mes visiteurs d'ailleurs m'a retrouvée à quatre pattes dans un couloir, en train d'appeler, il a eu le temps de me redresser, d'aller chercher un fauteuil roulant et de me reconduire dans ma chambre sans voir un seul employé. Une autre fois, c'est encore un de mes visiteurs qui m'a retrouvée par terre dans ma chambre. J'étais tombée en voulant me déshabiller car j'avais trop chaud, après avoir appelé en vain. Les sourds ne sont pas ceux qu'on croit.

Je crois bien que vous pourriez envisager de mieux rémunérer ces gens-là, de revoir leurs objectifs "qualité", et aussi d'en recruter davantage pour qu'ils puissent suivre de plus petits nombres de personnes âgées avec une relation de proche.

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Des gens qui y vivent ensuite.

Toutes les vieilles personnes ne sont pas égales et n'ont pas les mêmes besoins.

Lorsque vous avez encore un peu d'autonomie, ce n'est pas bon pour votre moral qu'on vous impose le rythme d'un grabataire. Et lorsque vous avez encore toute votre tête, c'est très dur d'être en permanence au milieu de gens qui ne l'ont plus. Hélas pour ma voisine de chambre, elle ne se remettait pas de la mort de son mari. Hélas pour moi, elle hurlait son prénom selon un rythme régulier de quelques minutes d'écart entre chaque cri. Des cris que j'entendais d'autant mieux qu'on laissait en journée les portes des chambres toutes ouvertes pour que le personnel puisse plus facilement surveiller sans trop se déplacer. Son sommeil la nuit et ses siestes le jour m'apportaient quelque répit mais pouvez-vous imaginer le stress généré par une telle situation ? Il faut avoir été prisonnier pour comprendre ce que l'impossibilité de la fuite représente.

Et si encore cela avait été un tourment passager ? Cette pensionnaire était connue de l'établissement pour ce cri répétitif qu'elle "pratiquait" depuis fort longtemps. Comment alors loger de nouveaux pensionnaires dans son voisinage immédiat ?

Mais d'autres pensionnaires ont été encore plus angoissants pour moi. Comme ces personnes profondément handicapées à côté desquelles on me plaçait régulièrement après le déjeuner pour regarder la télévision, que d'ailleurs je n'entendais pas tellement il y avait de gémissements et de cris dans cette salle commune, et qui me tapaient dès qu'elles pouvaient. Mes bras étaient régulièrement griffés.

Et je ne vous raconte pas tout ce que j'ai perçu et entendu dans les chambres alentours.

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Vivre.

Vivre est ce qu'il me reste de mieux à faire, car je ne sais plus rien faire d'autre.

Mais vivre à mon âge demande une énergie et des ressources financières souvent plus importantes que celles que l'on peut s'offrir. Et hélas plus importantes que ce que je peux apporter aux autres. Pourtant je suis là et la vieillesse fait partie du cycle de la vie.

Alors serais-je effrontée de formuler le souhait que l'effort commun participe davantage à la prise en charge du vieil âge ?

Un soutien aux vieilles dames de France pourrait-il égaler le facond patronage pour la Belle Dame de France qui a flambé en avril l'an passé ? Nombre d'entre elles sont pourtant moins résistantes et leurs temples plus dévastés.

Le budget de l'Etat pour le rayonnement des Grands Hommes peut-il nous glorifier quand tant de vieux messieurs sans plus de gloire sont priés de faire moins de bruit ?

Je ne formule plus ce souhait pour moi, car ma vie est désormais finie et j'ai été parmi les plus gâtés de mes congénères, mais pour vous tous qui méritez que notre société ouvre ses yeux sur votre avenir personnel.

Pour avoir d'autres solutions que d'aller dans un mouroir à plusieurs ou de se renfermer seul chez soi. Ou risquer d'être à la fois victime et bourreau d'une prise d'otage familiale à double sens lorsque vos enfants vous accueillent chez eux.

 

Permettez-moi de conserver le secret de mon identité pour n'être pas importunée dans ce qu'il me reste à vivre, et je vous remercie de m'avoir écoutée. - A.G. »

30-3-2019

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Les archives effondrées de Cologne

Une balade dans les rues de Cologne au printemps 2019 m'a conduite à un de ces moments hors du temps où les trottoirs disparaissent, les murs s'effacent, le sol se dérobe et il ne reste plus qu'une scène hypnotique où seule une forme incongrue concentre la force du lieu.

 

Le 3 mars 2009, le bâtiment des archives municipales de la ville de Cologne s’écroulait, emporté par un glissement de terrain, ensevelissant sous plusieurs tonnes de béton vingt-six kilomètres linéaires de documents. Ces archives représentaient l’un des fonds municipaux les plus riches d’Allemagne. Elles abritaient notamment des manuscrits de Karl Marx et de Friedrich Engels, des partitions originales de Wagner, des oeuvres d'Offenbach ainsi que des parchemins rares datant du Xème siècle. Ils ont disparu à plus de vingt mètres sous terre.

Dix ans plus tard, plus d'un milliard d'euros a été investi dans le sauvetage, et même si certaines archives sont très détériorées et d'autres restent perdues à jamais, le colossal chantier de restauration du patrimoine littéraire (récupération, congélation, étiquetage, nettoyage, traitement... des documents) a permis de sauvegarder l'histoire écrite. Mais dix ans plus tard, le lieu de l'effondrement est toujours un trou gigantesque entouré de grillages...

 

Un effondrement que rien ne comble

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C'est un son d'abord qui intrigue, il vient d'une machine, une sorte de générateur, un sifflement plaintif et répétitif, un peu lugubre et inattendu dans ces rues calmes du sud de la ville. Les murs des bâtiments sont stoppés par des barrières de chantier, la rue est calme. Un chantier immense et profond se révèle derrière le grillage, un entrelacs de tuyaux et de ferraille, quelques cabanons, des machines bizarres, des échafaudages, une sorte de tunnel très sombre et large se poursuit sous la chaussée et puis... des piscines. D'eau noirâtre et stagnante. La sirène alerte-t-elle de se tenir à l'écart, ou s'agit-il d'un extracteur en action ? En ce samedi, il n'y a pas âme qui vive, désert, et tout semble mort, abandonné.

L'impression morbide est saisissante. Le lieu est presque effrayant. Quelques affiches à proximité apprennent que depuis l'effondrement l'eau s'infiltre sans répit dans les fondations empêchant la reconstruction. Cet aven en chantier perpétuel où les efforts de l'homme sont sans effet est un cloaque lugubre où l'eau croupie ne tarit pas. Le diable qui longtemps connut les rives du Rhin aurait-il infiltré les eaux souterraines de la cité deux fois millénaire ?

Après un temps de sidération devant ce théâtre désolé, je traverse alors la rue et lève les yeux.

 

Un ange qui n'en finit pas de tomber

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De l'autre côté de la rue, surplombant la morne plaine de l'effondrement, accroché au-dessus des passants sur un bâtiment qui s'avance sur le trottoir : il apparaît dans toute la splendeur de sa tristesse et de son abandon. Il semble subir une chute sans fin, figé comme un crucifié pour l'éternité sur son piton de fer.

La ligne de cet être qu'on dirait percuté dans un saut contraint, son corps humain longiligne porté par des ailes vigoureuses et sa poitrine offerte au ciel confèrent à la béance qui lui fait face l'ampleur d'un gouffre insondable. Est-ce l'âme de ce lieu ou le sacrifié dont la souffrance veut apaiser le maitre du lieu ? La fosse infernale est toute emplie du silence de la chute et le supplicié, que la ville semble avoir oublié, parle de ces écritures englouties, de ces mots qui surnagent et de ces pages redevenues blanches.

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pour en savoir plus :

L’effondrement du bâtiment des archives de la ville de Cologne : retour d’expérience, Valérie Caniart, Revue historique des armées

- L’effondrement des Archives de Cologne : bilan et perspectives (mars 2009- mai 2011), Odile Jurbert

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