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... ils  en parlent ...

ChateaubrianD
Itinéraire de Paris à Jérusalem, 1811

« J’ai vu, du haut de l’Acropolis, le soleil se lever entre les deux cimes du mont Hymette ; les corneilles qui nichent autour de la citadelle, mais qui ne franchissent jamais son sommet, planaient au-dessous de nous ; leurs ailes noires et lustrées étaient glacées de rose par les premiers reflets du jour ; des colonnes de fumée bleue et légère montaient dans l’ombre le long des flancs de l’Hymette et annonçaient les parcs ou les chalets des abeilles ; Athènes, l’Acropolis et les débris du Parthénon se coloraient de la plus belle teinte de la fleur du pêcher ; les sculptures de Phidias, frappées horizontalement d’un rayon d’or, s’animaient et semblaient se mouvoir sur le marbre par la mobilité des ombres du relief ; au loin, la mer et le Pirée étaient tout blancs de lumière ; et la citadelle de Corinthe, renvoyant l’éclat du jour nouveau, brillait sur l’horizon du couchant comme un rocher de pourpre et de feu. »

Paul Radin
La civilisation indienne, 1953

« Deification is usually the beginning of the end, the first step of the journey leading to death. A deified man dies; as well, when an element that forms the basis of the economic life of a nation is praised to the skies, there it has stopped to be really acting [...] When a people look nostalgically to a long gone golden age, its end is near. »

« Mysticism and symbolism are just pompous forms of individualism. »

« The names are coated with a deep meaning, both for their social implications and for the highlighting of personal vanity. »

Hermann Hesse

Le loup des steppes, 1927

« La divination que l’homme n’est pas une création toute faite, mais une exigence de l’esprit, une possibilité lointaine aussi crainte que désirée, et que le chemin qui y mène n’est jamais suivi que l’espace de quelques pas, dans des souffrances et des extases terribles, par ces êtres isolés et rares en l’honneur de qui on dresse aujourd’hui l’échafaud, demain le monument, cette divination, dis-je, vivait dans l’âme du Loup des steppes. Mais ce qu’il appelle homme en lui, par opposition à son loup, n’est pas autre chose, en grande partie, que ce même homme médiocre de la convention bourgeoise. Harry peut bien pressentir le chemin qui mène à l’homme véritable, le chemin des immortels, il peut même çà et là y avancer d’un pas hésitant et infinitésimal, qu’il paie ensuite par des tourments cuisants, par une douloureuse solitude. »

«  "Ô bonheur d’être encore un enfant!" L’homme sympathique, mais sentimental, qui chante cette chanson de l’enfant bienheureux, souhaite lui aussi le retour à la nature, à l’innocence, aux commencements, et oublie complètement que les enfants, loin d’être bienheureux, sont susceptibles de bien des conflits, de bien des déchirures, de toutes les souffrances. En général, il n’est pas de voie qui conduise en arrière, ni vers le loup ni vers l’enfant. Au début de toutes choses, il n’y a ni innocence ni ingénuité ; tout ce qui est créé, même ce qui apparaît comme le plus simple, est déjà coupable, déjà lancé dans le torrent boueux du devenir, et ne peut jamais, jamais remonter le courant. Le chemin de l’innocence, de l’incréé. de Dieu, ne mène pas en arrière,mais en avant, non pas vers l’enfant ou le loup, mais toujours plus avant dans la culpabilité, toujours plus profondément dans la création humaine. Même le suicide, pauvre Loup des steppes, ne te servirait à rien ; tu devras malgré tout suivre le chemin plus long, plus pénible et plus difficile du devenir humain ; tu devras souvent encore multiplier ta dualité, compliquer ta complexité. Au lieu de réduire ton espace, de simplifier ton âme, tu deviendras de plus en plus le monde,tu devras finalement faire entrer l’univers entier dans ta poitrine douloureusement élargie, pour parvenir peut-être un jour au repos, à la fin. »

« Un homme qui a la divination des ciels et des abîmes de l’essence humaine ne devrait pas vivre dans un monde où dominent le sens commun, la démocratie et l’instruction bourgeoise. Il n’y vit que par lâcheté et, quand ses dimensions l’étouffent, quand il se sent à l’étroit dans la pièce bourgeoise, il fait payer au loup les pots cassés et ne veut pas savoir que la bête,en cet instant, est le meilleur de lui-même. Tout ce qu’il y a de sauvage en lui, il l’appelle loup et le juge méchant, dangereux, épouvantail à bourgeois ; lui, qui croit pourtant être artiste et posséder des sens délicats, n’est pas capable de voir qu’en dehors du fauve et derrière lui il existe en son moi bien autre chose, que tout ce qui mord ne vient pas du loup, qu’il y a là des renards, des dragons, des tigres, des singes et des oiseaux de paradis. Et tout cet univers, tout ce jardin paradisiaque plein de formes petites et grandes, terribles et charmantes, puissantes et délicates, est écrasé et emprisonné par la fable du loup, comme l’homme véritable l’est par le bourgeois. »

Françoise Sagan

Bonjour tristesse, 1954

« Il n’y a pas d’âge pour réapprendre à vivre. On ne fait que ça toute sa vie. »

« Ils étaient tellement gavés d’ennuis, de soucis, d’une télévision stupide, de journaux insanes qu’ils n’avaient plus aucune notion de gratuité. »

« Les jours dorés, les nuits blanches, les fous rires dans la pénombre, les poursuites dans les ruelles, les amours sans suite et les imprudences sans conséquence ne nous sont plus réservés exclusivement. Et quant à cette folle débauche dont on nous accuse, nous la voyons pratiquée par d’autres, mais sans grâce et sans ingénuité, bien entendu. [...] L’argent est là [...] il a beau se déguiser, se déshabiller jusqu’à la ceinture, se précipiter avec le vent sous les toiles des voiliers sportifs ou les capots des Ferrari grondantes, il a beau jouer le dépravé, le sportif, l’artiste, voire l’écologiste, il n’en est pas moins reconnaissable. [...] On ne vit plus en chasseur heureux ou proie consentante, on va de clan en clan et de récit en récit. Et comme dans une tragédie grecque, mais où un Euripide de boulevard se serait inspiré d’un Feydeau sociologue, tout "amour" n’existe que s’il est commenté, toute plage que si ses matelas sont payants et tout désir que s’il est monnayable. [...] Ce n’est plus le rire qui règne dans la nuit, ni le plaisir, ni la curiosité, une exhibition qui recouvre en fait, petit à petit, une société aussi bourgeoise, aussi enrégimentée, aussi cancanière et provinciale que peut, que pourrait l’être celle d’une ville dont les héros n’auraient plus que des droits mais aucun devoir. »

« Le soleil est là, dans la paume de ma main, et je tends machinalement cette paume vers lui, mais sans la refermer. Pas plus qu’on ne doit essayer de garder le temps et l’amour, on ne doit tenter de garder ni le soleil ni la vie. »

Victor Hugo

Apparitions1855

« Je vis un ange blanc qui passait sur ma tête ;

Son vol éblouissant apaisait la tempête,

Et faisait taire au loin la mer pleine de bruit.

- Qu'est-ce que tu viens faire, ange, dans cette nuit ?

Lui dis-je. - Il répondit : - je viens prendre ton âme. -

Et j'eus peur, car je vis que c'était une femme ;

Et je lui dis, tremblant et lui tendant les bras :

- Que me restera-t-il ? car tu t'envoleras. -

Il ne répondit pas ; le ciel que l'ombre assiège

S'éteignait... - Si tu prends mon âme, m'écriai-je,

Où l'emporteras-tu ? montre-moi dans quel lieu.

Il se taisait toujours. - Ô passant du ciel bleu,

Es-tu la mort ? lui dis-je, ou bien es-tu la vie ? -

Et la nuit augmentait sur mon âme ravie,

Et l'ange devint noir, et dit : - Je suis l'amour.

Mais son front sombre était plus charmant que le jour,

Et je voyais, dans l'ombre où brillaient ses prunelles,

Les astres à travers les plumes de ses ailes. »

Victor Hugo

Ibo, 1855

 

Dites, pourquoi, dans l'insondable 

Au mur d'airain, 

Dans l'obscurité formidable 

Du ciel serein, 

 

Pourquoi, dans ce grand sanctuaire 

Sourd et béni, 

Pourquoi, sous l'immense suaire 

De l'infini, 

 

Enfouir vos lois éternelles 

Et vos clartés ? 

Vous savez bien que j'ai des ailes, 

Ô vérités ! 

 

Pourquoi vous cachez-vous dans l'ombre 

Qui nous confond ? 

Pourquoi fuyez-vous l'homme sombre 

Au vol profond ? 

 

Que le mal détruise ou bâtisse, 

Rampe ou soit roi, 

Tu sais bien que j'irai, Justice, 

J'irai vers toi ! 

 

Beauté sainte, Idéal qui germe 

Chez les souffrants, 

Toi par qui les esprits sont fermes 

Et les coeurs grands, 

 

Vous le savez, vous que j'adore, 

Amour, Raison, 

Qui vous levez comme l'aurore 

Sur l'horizon, 

 

Foi, ceinte d'un cercle d'étoiles, 

Droit, bien de tous, 

J'irai, Liberté qui te voile, 

J'irai vers vous ! 

 

Vous avez beau, sans fin, sans borne 

Lueurs de Dieu, 

Habiter la profondeur morne 

Du gouffre bleu, 

 

Âme à l'abîme habituée 

Dès le berceau, 

Je n'ai pas peur de la nuée ; 

Je suis oiseau. 

 

Je suis oiseau comme cet être 

Qu'Amos rêvait, 

Que saint Marc voyait apparaître 

À son chevet, 

 

Qui mêlait sur sa tête fière, 

Dans les rayons, 

L'aile de l'aigle à la crinière 

Des grands lions. 

 

J'ai des ailes. J'aspire au faîte ; 

Mon vol est sûr ; 

J'ai des ailes pour la tempête 

Et pour l'azur. 

 

Je gravis les marches sans nombre. 

Je veux savoir ; 

Quand la science serait sombre 

Comme le soir ! 

 

Vous savez bien que l'âme affronte 

Ce noir degré, 

Et que, si haut qu'il faut qu'on monte, 

J'y monterai ! 

 

Vous savez bien que l'âme est forte 

Et ne craint rien 

Quand le souffle de Dieu l'emporte ! 

Vous savez bien 

Que j'irai jusqu'aux bleus pilastres, 

Et que mon pas, 

Sur l'échelle qui monte aux astres, 

Ne tremble pas ! 

 

L'homme en cette époque agitée, 

Sombre océan, 

Doit faire comme Prométhée 

Et comme Adam. 

 

Il doit ravir au ciel austère 

L'éternel feu ; 

Conquérir son propre mystère, 

Et voler Dieu. 

 

L'homme a besoin, dans sa chaumière, 

Des vents battu, 

D'une loi qui soit sa lumière 

Et sa vertu. 

 

Toujours ignorance et misère ! 

L'homme en vain fuit, 

Le sort le tient ; toujours la serre ! 

Toujours la nuit ! 

 

Il faut que le peuple s'arrache 

Au dur décret, 

Et qu'enfin ce grand martyr sache 

Le grand secret ! 

 

Déjà l'amour, dans l'ère obscure 

Qui va finir, 

Dessine la vague figure 

De l'avenir. 

 

Les lois de nos destins sur terre, 

Dieu les écrit ; 

Et, si ces lois sont le mystère, 

Je suis l'esprit. 

 

Je suis celui que rien n'arrête 

Celui qui va, 

Celui dont l'âme est toujours prête 

À Jéhovah ; 

 

Je suis le poëte farouche, 

L'homme devoir, 

Le souffle des douleurs, la bouche 

Du clairon noir ; 

 

Le rêveur qui sur ses registres 

Met les vivants, 

Qui mêle des strophes sinistres 

Aux quatre vents ; 

 

Le songeur ailé, l'âpre athlète 

Au bras nerveux, 

Et je traînerais la comète 

Par les cheveux. 

 

Donc, les lois de notre problème, 

Je les aurai ; 

J'irai vers elles, penseur blême, 

Mage effaré ! 

 

Pourquoi cacher ces lois profondes ? 

Rien n'est muré. 

Dans vos flammes et dans vos ondes 

Je passerai ; 

 

J'irai lire la grande bible ; 

J'entrerai nu 

Jusqu'au tabernacle terrible 

De l'inconnu, 

 

Jusqu'au seuil de l'ombre et du vide, 

Gouffres ouverts 

Que garde la meute livide 

Des noirs éclairs, 

 

Jusqu'aux portes visionnaires 

Du ciel sacré ; 

Et, si vous aboyez, tonnerres, 

Je rugirai.

Richard Bach
De l’autre côté du temps, 1999

« Le problème était la porte. Elle refusait de rester ouverte. »

« Ce n’est pas parce qu’une chose n’a duré qu’une fraction de seconde qu’elle n’est pas arrivée, comme n’importe quel pigeon de ball-trap vous le dira.
Et ce coup-là avait fait mouche. Je n’avais pas eu la berlue. Nous ne pouvons identifier les objets erratiques entrevus pendant moins d’une demi-seconde, dit-on, les objets géométriques pendant moins d’un cinquantième de seconde, mais notre perception d’un sourire sera enregistrée à un millième de seconde, tant notre esprit est sensible à l’image du visage humain. »

« Sur l’aire de stationnement bétonnée l’herbe prenait le pouvoir, verte comme une mer intérieure, venant se briser contre le tarmac. Elle se répandait autour de nous en un vaste carré champêtre pour se soulever au loin en une houle douce et lente piquée de champs et fleurie de chênes... Pour un aviateur, c’était le paradis. Quelle que fût la direction du vent, il y avait de l’herbe douce sous les roues pour atterrir. C’était l’histoire d’avant l’invention des pistes en dur imposant des atterrissages par vent de travers, un ravissement pour les yeux et pour le coeur. »

Gérard Encausse dit Papus
1865-1916

« Les expériences de Flourens avaient démontré que nos cellules se renouvellent en un temps qui, pour l’homme, n’excède pas trois ans. Quand je revois un ami trois ans après une visite antérieure, il n’y a plus en cet ami aucune des cellules matérielles qui existaient auparavant. Et cependant les formes du corps sont conservées, la ressemblance qui me permet de distinguer mon ami existe toujours. Quel est donc l’organe qui a présidé à cette conservation des formes, alors qu’aucun organe du corps n’a échappé à cette loi ? »

« Claude Bernard, en étudiant les rapports de l’activité cérébrale avec la production de l’idée, avait été amené à constater que la naissance de chaque idée provoquait la mort d’une ou plusieurs cellules nerveuses. Si bien que ces fameuses cellules nerveuses, qui étaient et qui sont encore le rempart de l’argumentation des matérialistes, reprenaient, d’après ces recherches, leur véritable rôle, celui d’instruments et non celui d’agents producteurs. La cellule nerveuse était le moyen de manifestation de l’idée et ne générait pas elle-même cette idée. »

« Toutes les cellules de l’être humain sont remplacées en un temps déterminé. Or quand je me rappelle un fait arrivé dix ans plutôt, la cellule nerveuse qui avait enregistré ce fait à l’époque, a été remplacée cent ou mille fois. Comment la mémoire du fait s’est-elle conservée intacte à travers cette hécatombe de cellules ? »

« Et même ces éléments nerveux auxquels on fait jouer un tel rôle dans les faits du mouvement sont-ils si indispensables à ce mouvement alors que l’embryologie nous apprend que le groupe de cellules embryonnaires qui constitue plus tard le coeur, bat rythmiquement alors que les éléments nerveux du coeur ne sont pas encore constitués. »

Nakajima Atsushi
Histoire du poète qui fut changé en tigre, 1942

« Désireux de se faire lui-même un nom de poète, il n’avait pas voulu s’attacher à un maître, ni rechercher la compagnie d’amis poètes pour tenter à leur contact de polir son art. Et en même temps, il était trop fier pour se ranger dans le commun des mortels.
Craignant de ne découvrir aucun trésor en lui, il n’avait pas eu l’audace de creuser patiemment, et parce qu’il croyait à moitié à ce trésor caché, il n’avait pas voulu non plus l’exposer au milieu des tessons et de la pacotille. Progressivement, il s’était isolé du monde, éloigné des hommes, ce qui avait eu pour effet de nourrir encore, d’engraisser à force d’exaspération et de dépit, l’orgueil pusillanime qu’il portait en lui.
Il prétendant que la vie est trop longue pour ne rien faire, trop courte aussi pour réaliser quoi que ce soit, tandis que sa vérité se résumait à deux choses : la crainte lâche de révéler l’insuffisance de son talent et la paresse qui  fuit le labeur acharné. » (Monts et lunes)

« Il apparaît que la contrainte obtienne à elle seule de bien meilleurs résultats qu’une générosité et une sincérité assorties de toutes sortes de précaution. Même sans être certain d’avoir gagné l’estime des dominés, on observe qu’une autorité intransigeante force l’admiration et le respect en profondeur et non pas seulement en surface. Souvent les dominés ne différencient pas ce qui "fait peur" de la "vraie grandeur". » (La poule)

Richard Bach

Le messie récalcitrant, 1977

« Il y avait jadis, dans un village sur le fond d’un grand fleuve de cristal, des créatures.

Le courant de ce fleuve glissait au-dessus de tous - jeunes et vieux, riches et pauvres, bons et méchants - et le courant allait son propre chemin ne connaissant que sa propre nature de cristal.

Chaque créature, à sa manière, s’accrochait étroitement aux branches et aux rochers du fond du fleuve, car s’accrocher était leur mode de vie, et résister au courant, tout ce que chacun d’eux avait appris depuis sa naissance.

Mais une créature dit à la fin : « Je suis las de m’accrocher. Bien que je ne puisse pas le voir de mes yeux, je crois que le courant sait où il va. Je lâcherai et me laisserai entraîner où il veut. A rester accroché, je mourrai d’ennui. »

Les autres créatures éclatèrent de rire et dirent : « Idiot ! Lâche donc et ce courant que tu vénères te jettera, balloté et meurtri, contre les rochers ; tu en mourras, et plus vite que d’ennui. »

Mais l’autre ne tint pas compte de ces quolibets, et retenant son souffle il lâcha et fut aussitôt balloté et meurtri par le courant contre les rochers.

Or bientôt, comme il refusait de s’accrocher de nouveau, le courant le souleva et le libéra du fond, et il ne fut plus bousculé ni blessé.

Et les créatures vivant en aval, pour lesquelles il était un étranger, se mirent à crier : « Voici un miracle ! Une créature comme nous-mêmes, et pourtant elle vole ! Voici le Messie venu pour nous sauver tous ! »

Et celui que le courant portait dit : « Je ne suis pas plus Messie que vous. Le fleuve se plaît à nous soulever et à nous libérer, si seulement nous osons lâcher. Notre véritable tâche c’est ce voyage, cette aventure. »

Mais les autres criaient de plus belle : « Sauveur ! Sauveur ! » tout en s’accrochant aux rochers, et lorsqu’ils levaient la tête une deuxième fois, celui que le courant portait s’en était allé ; alors, restés seuls, ils fabriquaient des légendes à propos d’un Sauveur. »

«  - Et la réalité ?

    - La réalité est divinement indifférente, Richard. Une mère ne se soucie pas du rôle que tient son enfant au cours de ses jeux ; un jour voleur, le lendemain gendarme. L'Etre ne sait même rien de nos illusions et de nos amusettes. Il ne connaît que lui-même, et nous à son image, parfaits, achevés.

    - Je ne suis pas sûr d'avoir envie d'être parfait et achevé. Tu parles d'un ennui...

    - Regarde le ciel, dit-il.

C'était un tel coq-à-l'âne que je levai les yeux vers le ciel. Les cirrus s'effilochaient, tout là-haut, et les premiers rayons de lune leur faisaient des auréoles d'argent.

    - Un beau ciel, dis-je.

    - Un ciel achevé ?

    - Ben... le ciel est toujours achevé, Don.

    - Es-tu en train de me dire que tout en changeant à chaque seconde, le ciel est toujours un ciel achevé ?

    - J'ai compris, Don. Je ne suis pas bouché.

    - Et la mer est toujours une mer achevée, tout en changeant sans cesse, elle aussi [...]

    - Parfait, et toujours en train de changer. Je l'accepte.

    - Tu l'as accepté il y a très longtemps, puisque tu es à cheval sur les temps. »

« Le péché originel, c'est de limiter l'Etre. Ne le fais pas. »

« Ta conscience est la mesure de l'honnêteté de ton égoïsme. Ecoute-la avec grand soin. »

« Tu veux être libre de toutes les choses qui te tirent en arrière - la routine, l'autorité, l'ennui, la gravité. Ce que tu n'as pas encore compris, c'est que tu es déjà libre, et que tu l'as toujours été. »

« Qu'est-ce qui a fait croire au bon Samaritain que le type couché sur le bord de la route désirait avoir de l'huile sur ses plaies ? Et si justement ce type-là profitaient de ces instants de tranquillité pour se guérir lui-même par l'esprit, en prenant un plaisir extrême à surmonter cette difficulté ? »

« Le signe de ton ignorance, c'est la profondeur de ta croyance en l'injustice et en la tragédie. Ce que la chenille appelle la fin du monde, le maître l'appelle un papillon. »

« Le nombre des personnes intéressées par ce que tu as à dire est très faible, mais c'est bien ainsi. On ne mesure pas la qualité d'un Maître à l'étendue de son audience, souviens-toi de cela. »

DANTE ALIGHIERI
Inferno, Canto III, 1321

« Per me si va ne la città dolente,

per me si va ne l'etterno dolore,

per me si va tra la perduta gente.

Giustizia mosse il mio alto fattore;

fecemi la divina podestate,

la somma sapïenza e ’l primo amore.

Dinanzi a me non fuor cose create

se non etterne, e io etterno duro.

Lasciate ogne speranza, voi ch’intrate. »

dessin au marc de café

« Par moi on va dans la cité des pleurs,

par moi on va dans l'éternelle douleur,

par moi on va chez la race perdue.

La justice mut mon souverain auteur ;

la divine Puissance, la suprême Sagesse

et le premier Amour me firent.

Rien ne fut créé avant moi,

sinon les choses éternelles, et je suis éternel.

​vous qui entrez, laissez toute espérance. »

Benoît Mandelbrot
La forme d’une vie, 2014

« Observez que ces cercles, ces ellipses et ces paraboles sont des formes très lisses et qu’un triangle présente un petit nombre de points d’irrégularité. Ces formes furent mon amour de jeunesse, mais sont très rares dans la nature. Galilée avait absolument raison d’affirmer que dans la science ces formes sont nécessaires. Mais elles n’étaient pas suffisantes, parce que la plus grande partie du monde est d’une grande rugosité et d’une infinie complexité.
Toutefois, la mer infinie de la complexité comprend deux îlots de simplicité : l’un est de simplicité euclidienne, l’autre de simplicité relative, dans laquelle la rugosité est présente mais identique à toutes les échelles. »

Romain Gary
La promesse de l’aube, 1960

« L’aube balayait l’océan d’un seul coup d’un bout à l’autre et le ciel était là, soudain, dans toute sa clarté, alors que mon coeur battait encore au rythme de la nuit et que mes yeux croyaient encore aux ténèbres. »

« L’ennui par la conversation et la bêtise par l’intellect sont quelque-chose que je n’ai jamais pu supporter. »

« Le plus simple serait de lui décharger mon revolver dans les médailles, après lui avoir fait mon compliment. Je me laisserais ensuite fusiller avec bonne humeur : le peloton d’exécution n’était pa
s pour me déplaire. Il me paraissait aller fort bien avec mon genre de beauté. »

« Son calme et sa douceur cachaient une de ces flammes qui font parfois de la France l’endroit du monde le mieux éclairé. »

« Son regard se mit à errer sur mon visage, s’attardant à chaque trait avec une expression de tendresse et de sollicitude qui me donnait le sentiment de sortir soudain de l’ébauche pour devenir enfin un homme complet. La terre entière devint un piédestal. »

« Pour faire face à la vie, il m’a toujours fallu le réconfort d’une féminité à la fois vulnérable et dévouée, un peu soumise et reconnaissante, qui me donne le sentiment d’offrir alors que je prends, de soutenir alors que je m’appuie. »

« Ils étaient trop installés dans leurs meubles, qu’ils appelaient la condition humaine. Ils avaient appris et ils enseignaient « la sagesse », cette camomille empoisonnée que l’habitude de vivre verse peu à peu dans notre gosier, avec son goût doucereux d’humilité, de renoncement et d’acceptation. Lettrés, pensifs, rêveurs, subtils, cultivés, sceptiques, bien nés, bien élevés, férus d’humanités, au fond d’eux-mêmes, secrètement, ils avaient toujours su que l’humain était une tentation impossible. Ils avaient raison, dans le sens qui eût évité à Jésus de mourir sur la croix, à Van Gogh de peindre, aux Français d’être fusillés, et qui eût uni dans le même néant, en les empêchant de naître, les cathédrales et les musées, les empires et les civilisations. »

Imre Madach
La tragédie de l'homme, 1861

« LUCIFER, à Adam.
Tu oses te rebeller, vil esclave ?
Cesse donc de te vautrer dans la fange,
Pauvre bête que tu es !

 

Lucifer essaie de donner un coup de pied à Adam. A ce moment, le ciel s’entrouvre. Le Seigneur, entouré de ses anges, apparaît en gloire.

 

LE SEIGNEUR
A ton tour,
Esprit, de t’abaisser !
Car, souviens-t-en,
Devant la mienne, il n’est pas de grandeur !

 

LUCIFER, ployant sous le coup.
Malédiction ! Malédiction !

LE SEIGNEUR
Relève-toi, Adam, et reprends cœur !
Je t’accorde à nouveau ma grâce.

 

LUCIFER, à part.
Ha ! Ha !
Quelle touchante scène de famille
Se prépare ! Un cœur sensible y prendrait
Sûrement grand intérêt ! Mais ce genre
De momeries blesse l’intelligence…
Je prends la poudre d’escampette !

 

Il se dirige vers la sortie.

LE SEIGNEUR
Reste,
Ici, Lucifer ! J’ai à te parler.

 

à Adam.
Dis-moi ce qui t’afflige et te tourmente.

ADAM
Seigneur, d’horribles visions me hantent.
Y a-t-il là quelque chose de vrai ?
Je n’en sais rien... Dis-moi quel sort m’attend :
Ce peu d’étroite vie qui m’est donné,
Est-ce là tout ce qui m’est destiné ?
Mon âme, décantée par tant de luttes,
Comme le vin dans les celliers, dois-tu,
Lorsqu’elle sera pure à ton idée,
En faire offrande au sable desséché
Qui la boira sans que rien n’en demeure ?
Ma descendance, ennoblie, pourra-t-elle
Se rapprocher de toi ? Ou devra-t-elle
Jusqu’à la mort, cette race des hommes,
Tourner la roue, comme un cheval de somme,
Sans nul espoir de pouvoir s’arracher
Au cercle étroit où elle est attachée ?
L’âme élevée, qui court au sacrifice
Sous les lazzis cruels des populaces,
Sera-t-elle récompensée ? Seigneur,
Éclaire-moi ! Je n’y puis que gagner.
Quel que soit mon destin, je t’en rends grâce
Et fermement je le supporterai.
Mais c’est l’enfer que cette incertitude…

LE SEIGNEUR
Ne cherche pas, mon fils, à soulever
Le voile dont ton Dieu, dans sa bonté,
Protège de tes yeux le grand Mystère.
Si tu pouvais savoir que, sur la terre,
Tu ne passes qu’un jour, après lequel
L’éternité t’attend, tu n’aurais plus
Aucun mérite à souffrir ici-bas.
Si tu savais que le sable boira
La liqueur de ton âme, où prendrais-tu
L’idéal qui pourrait te détourner
Des fugitives voluptés ? Que ferais-tu
De grand pendant ta vie ? Que l’avenir
Te demeure caché par une brume,
Alors ta foi dans une infinitude
T’aidera puissamment à supporter
La pesanteur de ta vie éphémère !
Mais cependant t’enorgueillirais-tu ?
Le sentiment de ta fragilité
Viendra couvrir le feu de ton orgueil !
Et c’est ainsi que grandeur et vertu
Également te seront assurées.

LUCIFER, ricanant.
Ah, vraiment, la glorieuse carrière !
Où pour guides tu auras, seulement,
Deux grands mots : Grandeur, Vertu

– qui ne peuvent devenir un peu concrets,

sans leur suite,
Soit : la superstition, l’ignorance,
Les stupides préjugés ! Que me suis-je
Avisé d’associer l’homme à mon œuvre,
Comme s’il pouvait sortir quelque chose
De ce ragoût de soleil et de fange,
De ce nabot, quant à la vraie science,
De ce géant, quant à la cécité !

ADAM
Ne raille pas, Lucifer. Je l’ai vue,
Ta vraie science et ses créations !
Elle n’a pu que me glacer le cœur !
Mais toi, Seigneur, depuis que j’ai osé
Goûter le fruit de l’arbre défendu,
Tu m’as privé de la main tutélaire
Qui me guidait... Qui la remplacera ?

LE SEIGNEUR
Ton bras est fort. Ton âme est élevée.
Devant toi s’ouvre un champ illimité.
Sois attentif, car sans cesse une voix
Te parlera de moi, t’exhortera,
Te freinera... Prête-lui bien l’oreille.
Mais si parfois, dans le fracas terrestre,
Tu n’en percevais pas l’écho céleste,
Le cœur plus pur de cette faible femme,
Indifférente aux appétits mesquins,
Saura l’entendre et te le transmettra,
Soit par le chant, soit par la poésie.
Tels sont ses dons, ses armes, et toujours
Tu les auras, comme elle, à tes côtés,
Dans le bonheur ou dans l’adversité.
Elle sera ton souriant génie,
Ta consolation…
    Toi, Lucifer,
Tu es aussi, dans mon vaste univers,
Un maillon nécessaire. Agis ! Agis !
Ton froid savoir, ta négation folle
Sont les ferments qui stimuleront l’homme.
De son chemin, si parfois tu l’écartes,
Qu’importe ! Il reviendra toujours à moi !
Ton châtiment sera de constater
Que tes efforts pour corrompre son âme
N’ont pour effet que Noblesse et Beauté.

LE CHŒUR DES ANGES
Pouvoir librement faire choix
Du Mal ou du Bien, mais connaître
Que nous protège un divin maître
Dont on a le regard sur soi !
Sans peur et sans inquiétude,
Agis ! Combats ! En dédaignant
Le dédain de la multitude,
Et ne fais jamais rien de grand
Que pour l’estime de toi-même.
Tout autre but serait honteux :
Tu serais cloué à la terre
Quand les nobles cœurs vont aux cieux.
Mais pour autant ne va pas croire
Que tes actes et tes travaux
Sont sortis de l’humain cerveau
Et que de toi Dieu ait besoin
Pour mener à bien ses desseins :
Tu n’as reçu que de sa grâce
Le pouvoir d’agir à sa place.

EVE
Mon cœur comprend ce chant...

O, mon Dieu, sois loué !

 

ADAM
J’en devine le sens et veux m’y conformer.
Mais comment oublier la terrible échéance ?

 

LE SEIGNEUR
Homme, je te l’ai dit : lutte et aie confiance !
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