21-7-2024
Taman Shud
Un grand homme marche sous les arches de la gare de briques rouges.
La fine chemise qu’il porte en cette chaude journée de la saint André suggère une musculature solide, il se déplace avec grâce.
Elle est un peu nerveuse mais elle est invisible, c’est son talent merveilleux, dans ce hall de gare elle n’est presque pas là. Il ne peut retenir un sourire lorsqu’il la voit. Sans un regard elle l’a aperçu et sait qu’il sourit ; d’un pas assuré elle va vers le panneau de consultation des horaires, elle examine quelques lignes, pose sa main droite sur la console où se trouvent quelques craies et crayons ainsi qu’un cendrier bien nourri. Sans la regarder lui ne l’a pas quittée des yeux. Il se dirige vers le point d’affichage. Elle s’écarte en continuant d’observer les destinations inscrites en hauteur. La main de l’homme atteint enfin le rebord et recouvre de sa large paume le livre qu’elle y a laissé. Ils sont à quelques mètres l’un de l’autre. Enfin elle ouvre son regard et tout son visage sur le dos de l’homme dans un très court instant qui fixe alors une intimité qu’ils n’auront plus jamais. Elle n’est déjà plus là.
Lorsqu’il sort de la gare, le soleil du matin promet le lourd et l’imprévu, une sorte de chaud-et-froid sur ses entrailles soviétiques. A la manière de ses pensées un bref instant égarées dans un bureau surchauffé de la Loubianka.
Sur le livre, un numéro. Elle n’a pu s’empêcher. Il n’appellera pas, elle le sait. Il repense à son sourire. Tout était dans son sourire ; il portait la résignation violente et la détermination douloureuse, le hurlement contenu, le poids politique et surtout familial, le souvenir et la gratitude. Elle lui devait sa couverture ici dans cet hémisphère sud de pseudo yankees ; elle avait été à la hauteur ; la petite moscovite de bonne famille était devenue discrète infirmière, rendait quelques services liés à la surveillance du tout nouveau Woomera Rocket Range, connaissait les codes, vite appris. Intelligente et vive. Quel gâchis.
Le soleil est à présent à la fin de sa course, mais il est encore puissant à l’aproche de l’horizon et la tenue vestimentaire de l’homme est élégante mais peu appropriée. Il l’a pourtant voulu. Manteau sur mesure, beaux cuirs cirés aux pieds, cravaté et coiffé, il s’est minutieusement rasé. Il pense. La beauté est honorable ; académique et honnête, elle vaudra pour dignité.
Bien sûr, dès qu’il a vu la main fine et blanche dans la gare, il a deviné le titre du livre qu’elle déposait, ce titre qu’il redoutait, et qui selon la règle porte en soi le message. Savait-elle ce qu’elle portait ? L’aurait-elle porté ainsi en sachant ce qu’elle enclenchait ?
Les Rubaiyat d'Omar Khayyam sont funestes pour les agents de l’orchestre rouge. Omar est un tueur discret. L’ancienne édition presque précieuse qui avait été remise à la femme par un contact pouvait témoigner d’une déférence pour le destinataire, mais l’homme n’y croyait pas. Il n’y a jamais eu de code d’honneur. La seule droiture fiable est celle du squelette. Et il ne voyait en cet instant que le vice de l’ordonnateur qui place le fusil entre les mains du complice du condamné.
Il est allé jeté un oeil dans la rue où elle habite. Déraisonnable mais comme une dernière visite à un ancêtre qu’on va bientôt perdre. Une visite à distance, évidemment sans se voir, sans être vu, juste voir, et puis passer sans s’arrêter, continuer sa route sans lui faire subir de peine inutile. Elle était bien loin la Moskova de sa première vie.
Puis il a continué jusqu’à la plage, au bout de la rue.
En chemin il a glissé le livre par la fenêtre entrouverte à l’arrière d’une voiture stationnée. Il lui parviendra forcément, il en est sûr. Et alors elle pourra lire ce qu’il a écrit sur le dos.
Au creux de sa main, enserrée roulée contre sa ligne de destinée, il étrangle la page arrachée qui scelle l’achèvement de cette longue poésie, le terme de la mission. La page qui porte le mot fin.
Il est allongé à présent, adossé à la digue qui enserre le sable.
Il repense au sourire de ce matin, dans l’enchevêtrement de rails, de briques rouges et de soleil, sur le papier chaud d’un vieux livre, son dernier cadeau.
Il se souvient de lui dansant, jeune adolescent, avec sa soeur, dans les classes d’Olga Routchenko où la réussite est sans appel. Il sait que sa soeur n’aurait pas aimé la destinée que sa chère malyshka a du subir. Infirmière ou quoi que ce soit, peu importait, la seule vertue à mettre en oeuvre était la discipline corporelle, plus que l’art de la danse, la maîtrise et la pratique de la ronde traditionnelle. Tout au long de sa vie, jusqu’à la mort. Sans connaître beaucoup de la vie de sa jeune nièce, il doutait qu’elle fasse vivre le rituel slave dans ce monde occidental moderne. Et c’était là finalement sa plus lourde peine à lui aussi en ce soir d’été.
A l’aube de la mort. Danser.
Il est en face du soleil.
Il prend une dernière cigarette d’excellence, puis la fume avec la délicatesse maladroite et l’hésitation pudique d’une première fois, il inspire une fumée d’excellence. Puis doucement, et lentemement, il quitte la ronde impassible des volutes et s’enfonce dans la nuit.
31-10-2023
L’eau de Nuithonie
Du Sanetsch jusqu’à l’Aar,
les ondines ne veulent que tes rives
pour jouer de leurs courbes ;
quand s’amène sur ta route la ville libre des aimables dzodzets,
elles font de toi la rivière bruissante de leurs rires,
faisant miroiter tes reflets sous les hautes murailles
qu’elles tentent en vain d’éclabousser.
Elles savent bien qu’une maigre prairie (Maigrauge)
ou une sèche colline (Dürrenbühl)
ne sont des noms destinés qu’aux ennemis ignorants,
tant ton eau est claire et fraîche et vivifiante.
Et les joyaux de ta course tu les leur offres
entre trois ponts de vieilles pierres,
où parfois elles oublient de danser
absorbées à contempler tant de calme beauté.
Elles s’attardent parfois dans la fontaine de Saint Jean
ou s’échappent vers le Gottéron
mais reviennent à ton cours,
le plus doux point de vue sur Fribourg.
Wasser im Üchtland
Von Sanetsch bis zur Aare
wollen die Undinen nur auf deine Ufer
mit ihren Kurven spielen;
wenn die freie Stadt der freundlichen Dzodzets auf deinen Weg trifft,
machen sie dich zum raschelnder Fluss ihres Lachens
und lassen deine Spiegelungen unter den hohen Türmen funkeln,
die sie vergeblich zu bespritzen versuchen.
Sie wissen wohl, dass eine magere Wiese (Maigrauge)
oder ein trockener Hügel (Dürrenbühl)
Namen sind, die nur für unwissende Feinde bestimmt sind,
so klar und frisch und belebend ist dein Wasser.
Und die Juwelen deiner Reise bietest du ihnen
zwischen drei Brücken aus alten Steinen an,
wo sie manchmal vergessen zu tanzen,
wenn sie so ruhige Schönheit betrachten.
Manchmal verweilen sie am Brunnen von Saint Jean
oder fliehen in Richtung Gottéron,
kehren aber zu deinem Kurs zurück,
dem schönsten Aussichtspunkt über Freiburg.
La Sarine est une rivière de l’ouest de la Suisse
qui descend d’un glacier alpin du pays d’Enhaut
et arrose Fribourg de ses méandres avant de remonter vers le Nord.
Parmi les nombreux ponts qui l’enjambent, trois sont très particuliers ;
construits entre la fin du 17ème et le milieu du 18ème siècles,
ils sont posés bas, en pierres et l’un est couvert en bois ;
situés sur un coude de la Sarine à l’abri de l’effervescence de la ville,
ils semblent éternels et inébranlables comme de fidèles amis.
Des tours protectrices encerclent le coeur historique de la tranquille Fribourg.
Pour la plupart perchées sur les hauteurs qui surplombent la ville,
elles sont carrées et coiffées chacune d’un court toit rouge pentu.
Leur stature médiévale et leurs couleurs de terre claire,
issue de la molasse locale, les font ressembler à des gardes attentifs.
Elles confèrent au lieu qu’elles enserrent
l’éminence et la sérénité d’une cité céleste.
La Nuithonie est la région que traverse la Sarine.
Elle s’appelle de ce joli nom hélas peu utilisé
qui lui viendrait des Nuithons, peuple germanique du 1er siècle.
Ils vouaient un culte à Nerthus, divinité nordique du groupe des Vanes,
soeur de Njörd et mère des jumeaux Freyr et Freyja.
L’historien romain Tacite avait remarqué que ces peuples de Germanie
étaient protégés par des cours d’eau et des forêts.
Le temple de cette déesse était au fond d’un lac sacré.
Die Saane ist ein Fluss in der Westschweiz,
der von einem Alpengletscher im Pays d'Enhaut entspringt
und in seinen Mäandern Freiburg durchströmt, bevor er zurück nach Norden fließt.
Unter den zahlreichen Brücken, die ihn überspannen, sind drei besonders erbaulich;
sie wurden zwischen dem Ende des 17. und der Mitte des 18. Jahrhunderts erbaut.
Sie sind nicht hoch, aus Stein gebaut und einer ist mit Holz bedeckt.
An einer Biegung der Saane gelegen, geschützt vor der Hektik der Stadt,
wirken sie ewig und unerschütterlich wie treue Freunde.
Schützende Türme umgeben das historische Herz des ruhigen Freiburg.
Sie liegen meist auf Anhöhen auf die Stadt,
sind quadratisch und mit einem kurzen, steilen roten Dach gekrönt.
Ihre mittelalterliche Statur und die lichten Erdfarben aus lokaler Felsen
lassen sie wie aufmerksame Wächter aussehen.
Sie verleihen dem Ort, den sie umgeben,
die Erhabenheit und Gelassenheit einer himmlischen Stadt.
Üchtland ist die Region, durch die die Saane fließt.
Es trägt diesen hübschen, leider wenig gebräuchlichen, Namen
der von den Nuitonen stammt, einem germanischen Volk aus dem 1. Jahrhundert.
Sie verehrten Nerthus, die nordische Gottheit der Vanir-Gruppe,
Schwester von Njörd und Mutter der Zwillinge Freyr und Freyja.
Der römische Historiker Tacitus stellte fest, dass diese Völker Germaniens
durch Flüsse und Wälder geschützt waren.
Der Tempel dieser Göttin befand sich auf dem Grund eines heiligen Sees.
4-9-2023
Verser & déverser
alcool
tu te sens différent
mais au comptoir tu te sens proche dans l’instant
d’inconnus en errance
échanger des banalités sur la fatalité
dériver accompagné
de ceux qui ne t’aiment pas
qui ne t’aident pas
tu ne veux pas d’aide
pas de compte à rendre ni jugement
mais ils te jugent ceux-là
avant même que tu trinques
ils t’enchaînent à leurs manques
ils volent même ta solitude
puis ils hantent ton repos
indifférent à la détresse autour
sans égard pour ceux qui se cachent dans ton coeur
tes larmes coulent sur ta pauvreté
sur ta malchance
sur tes impossibilités
sur tes pertes et tes mains tremblantes
et cette eau que tu verses sur toi-même comme une longue plainte
sans te laver s’en va rejoindre le caniveau
l’eau encore qui alimente le sol
où gonfle le grain que ferment et chaleur rendront spirituel
l’engloutir avidement
chaque heure le désirer
te remplir jusqu’au délire
et provoquer et juger et perdre et tomber,
plus fort que la honte qui te réduit
et se moquer de ta dignité
le temps a été suspendu
il s’est arrêté sur la délicatesse de tes gestes
avec les secondes éternelles d'une fugue baroque
sous les voutes d’une cathédrale
alcohol
you feel different
but at the counter you feel close in the moment
from wandering strangers
exchange banalities about fate
accompanied drift
with those who don't love you
who don't help you
you don't want help
no accountability or judgment
but they judge you
even before you toast
they chain you to their shortcomings
they even steal your solitude
then they haunt your rest
indifferent to the distress around
without regard for those who hide in your heart
your tears flow over your poverty
on your bad luck
your impossibilities
your losses and your trembling hands
and this water that you pour over yourself like a long complaint
without washing you goes into the gutter
the water still which nourishes the soil
where the grain swells, that ferment and heat will make spiritual
greedily engulf it
every hour desire it
filling you to the point of delirium
and provoke and judge and lose and fall,
stronger than the shame that reduces you
and make fun of your dignity
time has stood still
it stopped on the delicacy of your gestures
with the eternal seconds of a baroque fugue
under the vaults of a cathedral
25-3-2023
Oropa
Récit de l’ascension de la montagne sacrée d’Oropa, dal santuario al Lago del Mucrone.
J’ai gravi la voie d’or,
Sous mes pas mille feuilles puis la pierre et la neige
Le muscle et les os servant le coeur et les yeux
Arrimés à la cime destinée de l’archer.
Tout auprès des eaux dévalant vives des cieux
Trois singuliers décors forment ce dénivelé
Soutenant l’élan du corps qui parcourt les lieux
Trois saisons s’enchaînent inattendu sortilège.
L’entrée dans la marche est un tapis de cinabre.
Est-ce folie cette étourdissante forêt
Au sol épais où les feuilles mortes saignent encore ?
Rouge est l’amorce mais d’approche douce comme un vin fort
Densément boisé ; soudain l’ivresse apparaît
Aux branches dépouillées telles d’inversés candélabres.
Sortant du bois je suis en feu, la pente est rude.
D’une route assemblée de rochers couverts d’or
Qu’un impérieux soleil brule tels des sémaphores,
J’arpente plus haut, d’un rythme saoulé de solitude.
Le temps de l’ascension a oscillé sans fin,
Très court très long en ce jour de l’Annonciation
Drainant de torpeur l’inaltérable procession ;
Quand sans liaison le socle s’enfonce, brun turquin
D’une terre trempée de givre, signant la frontière,
Ouvrant sur un lent transit empreint d'oubliance.
Blanc dur et froid, hostile plaine d’un col désert
Où le vent brutal règne en maître du silence.
M’enfonçant dans la neige, stupéfiante fin de course
Au sommet du mont sacré où l’eau prend sa source,
Mucrone est la mire d’une flèche qui est feu.
L’hiver sardonique se révèle et je comprends
Que l’immobile réserve a étouffé le chant
Qui jadis montait riant murmurer à Dieu.
Sans plus attendre dans cette errance désolée
Je m’enfuis et me laissai lors par l’eau guider :
Sourdant du lac, le torrent naît bleu sous la glace
Puis coure et saute hyalin au travers des pierres d’or ;
Il descend insolent sans cure de laisser trace.
Je fus telle au printemps ne portant que mon corps
De retour vers le Nord.
22-3-2023
Duetto
Ecrit au refuge de Valentina. Scritto al rifugio di Valentina.
J’ai parcouru le monde à vous regarder duet assemblé,
vous marchez en concerto, vous ne voyez que vos bouches
et les appelez piano, la complicité vous rend superbes,
un orchestre murit en vos coeurs, un appui et elle sourit,
une main sur la sienne, elle t’aime, vos yeux se cherchent,
de peur de se perdre, d’avidité de se retrouver,
du manque d’un autre, vous ne voyez plus le monde
depuis qu’il est recouvert de vous deux, coupe mouvante,
avançant mue par l’émerveillement de sa splendeur,
couple durant, accompagné, vous êtes immanquables,
vous envahissez mes poumons, votre présence ... ma souffrance.
J’ai parcouru mon monde, je ne t’ai pas trouvé,
peut-être que j’ai caché la clé.
Ho girato il mondo vedendo voi comporre un duetto,
camminare in concerto, vedere solo le vostre bocche
e chiamarle pianoforte, la complicità voi rende superbo,
un'orchestra matura nei vostri cuori, un sostegno e lei sorride,
una mano sulla sua, lei ti ama, i vostri occhi si cercano,
per paura di perdervi, per la smania di ritrovarvi,
per la mancanza d’un altro, non vedete più il mondo
perché è coperto di voi due, copa in movimento,
andare avanti spinto dalla meraviglia del suo splendore,
coppia duratura, accompagnato, sei immancabile,
invadi i miei polmoni, la vostra presenza... la mia sofferenza.
Ho girato mio mondo, non ti ho trovato,
forse ho nascosto la chiave.
1-2-2023
Non invité
Dans le premier cercle céleste le plus proche de l’axe polaire, se trouve la sereine constellation du Cygne. Plus loin à la périphérie, lorsque le ciel d’été dévoile une nuit de noir étincelant, celui qui fut le treizième du zodiaque se tient puissamment silencieux. Et Rassalhague l’étoile de l’homme regarde Deneb l’étoile de l’oiseau. Leur histoire n’a jamais été écrite, elle survole votre ciel et vos vies ; mais aujourd’hui une voix vous parvient.
Pourquoi la vie n’est pas comme dans mes poésies ?
Pourquoi je vois le monde comme il n’est pas ?
Je suis enfermé.
Sûrement pas à ma place dans ce monde.
Flotter entre deux infinis de matière et de temps
et perpétuellement expérimenter la corruption et la fuite…
Je n’aspire qu’à le quitter, ce monde.
Chercher à comprendre l’univers…
Assurer la longévité des individus et la pérennité de l’espèce…
Ce sont des motifs grotesques lorsqu’on n’aime ni son décor ni sa condition. Ils sont pourtant inscrits au plus profond de la programmation génétique.
Une sorte d’enthousiasme originel incorruptible.
Comme une innocence stupide.
La voie de la sagesse? C’est une vanité pour enfants crédules.
Les sages ne sont que des vieux sans illusion.
Forcément tristes ou impatients d’en finir.
L’amour ? C’est un mensonge.
Il transporte le coeur vers un paradis qu’il croit partagé.
Mais ce n’est que le miroir des angoisses,
un arc-en-ciel pour celui qui regarde la pluie,
une oeillère pour pouvoir courir.
Et moi…
J’ai voulu courir.
Vers toi.
J’ai été celui qui retenait le serpent qui voulait te mordre.
Nos étoiles s’attiraient.
Mais l’indifférence de ton vol, à côté de Vega l’éblouissante,
m’emplissait de mélancolie.
J’ai voulu maîtriser ce qui ne pouvait l’être.
D’un geste j’ai tué l’amour, l’espoir et la sagesse.
Ils m’ont rayé de la carte du ciel.
Tu étais le Cygne qui porte Deneb.
Je suis le Serpentaire, et sur mon front Rassalhague.
Je suis l’invisible. Le 13ème.
Non invited
In the first celestial circle, the one closest to the polar axis, is the serene constellation of Cygnus. Farther on the outskirts, when the summer sky reveals a night of sparkling black, the one who was the thirteen of the zodiac stands mightily silent. And Rassalhague the star of the man looks at Deneb the star of the bird. Their story has never been written, it flies over your sky and your lives; but today a voice reaches you.
Why life is not like in my poems?
Why do I see the world as it is not?
I am locked up.
Certainly out of place in this world.
Floating between two infinites of matter and time
and perpetually experiencing corruption and flee…
I only want to leave this world.
Seek to understand the universe...
Ensure the longevity of individuals and the sustainability of species...
These are grotesque patterns when you don't like the scenery nor your condition. Yet they are enshrined in the depths of genetic programming.
A kind of incorruptible original enthusiasm.
Like a stupid innocence.
The path of wisdom? It is a vanity for gullible children.
The wise are only old people without illusions.
Necessarily sad or impatient to end it.
Love? It is a lie.
It carries the heart to some paradise that is believed to be shared.
But it is only the mirror of anguish,
a rainbow for those who watch the rain,
a blinder that makes you run.
And me…
I wanted to run.
Towards you.
I was the one who held back the snake that wanted to bite you.
Our stars attracted each other.
But the indifference of your flight, next to dazzling Vega,
filled me with melancholy.
I wanted to control what could not be.
In one gesture I killed love, hope and wisdom.
They wiped me off the celestial map.
You were the Swan carrying Deneb.
I am the Serpentarius, and on my forehead stands Rassalhague.
I am the invisible. The 13th.
11-12-2022
L'équilibre
Louvart docile, tu te vois à présent déchirer la main de tes frères de tes crocs vifs et impatients. L'équilibre sera peut-être ta voie, tu n'en es pas encore sûr. Il te faut visiter les hauts sommets et les abîmes autour. Grisants, ils ne s'accommodent pas des demi-mesures et s’accompagnent de l’absolue dématérialisation et de solitude héroïque. L’équilibre est plus douloureux et n'est que maîtrise. Tout ce que tu détestes. Connaître l'oscillation et ses pôles étourdissants pour ressentir ce geste qui dessine le seul point d'équilibre acceptable pour une âme vaillante.
26-9-2022
Carpe
Sans même le remarquer, tu seras emporté par ces vers canoniques, dans un tour en caïque ; car ces alexandrins sont d’épatants marins.
Il était une carpe, fort bien née, bon pédigré
Allure égale, brillance sans clinquance, bouche ourlée
Très tôt pourtant, au tout premier sursaut caudale
L’oeil maternel ne reconnut pas l’animal
L’écaille est claire helas, certes c’est tout son père
Mais le trouble vient de plus loin, malaise amer
Une calme audace, une vigueur sans ambâges
La petite ne semble pas porter l’héritage
Manque de personnalité, immaturité,
La mère est tourmentée, comprendre n’est pas aisé
S’en vient l’enfant, vif, tendre, amoureux de maman
Qui saisit dans l’instant l’affliction qui descend
L’inquisition pesante lui provoque un frisson
Parcourant profond son arête de poisson
Transformant sa nature, intégrant la question
Il accueille sans défiance la transfiguration
De ses entrailles intimement serrées, un son.
- N’aies crainte cher ferment, je ne couve nulle menace
Pour t’apaiser sur l’heure je dirai mes bonnes grâces
Entends mes confessions, je ne suis qu’unisson
La parentèle assemblée considère les faits
- Jamais carpe bavarde eut un jour existé
Mais ces mots spontanés sont bien gage d’honnêteté
Qu’elle se trouva dans notre lignée, grand bienfait
De ce jour, il en fut fait, jamais plus muette
Chaque pensée, toutes humeurs, quelque anecdote
Aucun oubli, tout est parole, fidèle gazette
Des angoisses familiales, ce fut l’antidote
Il n’est pas un autre être dans l’onde et sur terre
Qui ne donna plus à voir de sa lecture d’âme
Par grande loyauté il était livre ouvert
Mais de l’authentique… il n’y avait plus un gramme.
28-5-2022
9ème diaphonie
Ceci parle d’Hercule et d’un rendez-vous manqué avec une reine.
Il traverse la mer qu’il couvre de sang, furie entêtée de victoires, machinerie lancée sous le doigt pointé d’un faux-frère, il échafaude une attaque sur une fausse légende. Hippolyté ceinte. Etre désarmé et se laisser faire, séduit par cette rencontre inattendue ; déposer sa parure dans l’instant, recevoir l’or qui devait se prendre, être en mesure de faire taire les préjugés et les attentes qui sommeillent enfiévrés si profond. Un air vicié souffle au-dehors, suffisante alerte pour des guerriers en veille, corrompant sans délai ni doute la confiance simplement offerte. Instant de grâce désavoué. D’une tuerie sans égards, il ne reste rien. Le trophée arraché est sans valeur, aucune autre n’en voudra. Il poursuit sa route, plus amer et obstiné. Il n’a rien gagné, il a tenu, puis lâché.
22-4-2022
Le chasseur et l'ourse
L’eau révèle le secret de Callisto
et la nudité d’Artémis aux yeux d’Actéon perdu
La surprise cueille la fragilité
de la déesse qui transfigure l’impudence
Elle s’échappe en masquant ceux qui l’atteignent
Immobiles sans comprendre
dans l’attente de son regard
Chasseur traqué, ourse portante, le temps fige l’interdit dépassé
orgueil et défaut de vigilance sont punis irrémédiablement
et la reine des Amazones conduit sa chasse armée de son arc
6-1-2022
Aleph
Aleph s’est éveillée,
totalement souveraine,
elle s’est dressée de gigantisme et de sauvage.
Puissance sans possessions,
délaissant toute question,
elle n’est qu’instinct,
impulsion parfaite qui ne s'apprend ni ne calcule ni ne projette.
1-1-2022
Nord
Loin au large de Porto Rico, printemps 2074 - parcours d'une vieille baleine, de près ou de loin, dans des hauts fonds sombres sans repères ou entre des falaises sous-marines ou proche de la surface dans la lumière, seule ou avec des poissons...
En un temps inconnu, dans une province reculée d'une terre peu peuplée, vivait dans les eaux d'une rivière un poisson qui n'avait jamais été vu par aucun homme. D'une grande agilité et recouvert d'écailles si fines qu'elles ressemblaient à des plumes, il était vif, délicat et insaisissable.
Golfe du St Laurent, été 2074 - le parcours de la baleine se poursuit ; elle est solitaire, croise parfois d'autres baleines, de son espèce ou non, de sa famille ou non, avance avec pendant quelques miles, les autres sont en groupes quand elle est seule.
Un jour qu'il s'était approché de la rive pour jouer dans les reflets du soleil, le poisson fut remarqué par un jeune et vigoureux pêcheur dont l'oeil éveillé aussitôt distingua la merveille dans l'onde arc-en-ciel. Ne voulant risquer de le perdre, avant même un nouveau souffle, il avait abattu son arc sur sa prise. La flèche hardie frappa tel un éclair, le poisson gisait sur les pierres, tranché en deux parties.
De la tête du poisson émana alors une petite fille. Le pêcheur surpris et désemparé de cet événement lui donna un nom et l'emmena dans son village, ne pensant plus à son butin.
Fonds sous-marins ; la baleine poursuit sa route.
Le corps du poisson abandonné sur la grève se mit à pourrir et de sa fermentation émana un vieillard. Triste et inquiet, il attendit jusqu'à la nuit le retour du pêcheur. Mais le pêcheur ayant raconté son histoire et couronné sa trouvaille, fit de la petite fille une jeune femme belle et convoitée et plus jamais ne revint au rivage. Une vie passa, la femme trouva mari et engendra une riche descendance de sept enfants qui eux-mêmes eurent chacun sept enfants qui eux-mêmes eurent chacun sept enfants.
Mer de Baffin, automne 2074 - la baleine arrive dans des fonds bleus verts profonds lumineux, icebergs, passe sous la banquise ; elle fait des cercles ; doucement elle se place à la verticale sous l'eau tête en haut, immobile ; elle sombre ensuite pour aller chercher son élan et dans un effort herculéen se lance hors de l'eau et vient se projeter sur la banquise ; elle reste échouée, son oeil regarde le ciel bleu.
Un matin d'été, alors qu'il jouait près du bord de la rivière, un enfant entendit un chant nouveau sortir d'un rocher. Assis sous le rocher était un vieillard immobile aux yeux couleur d'eau, le chant venait de son coeur et l'enfant s'assit à ses côtés pour l'écouter. Le ton était nouveau pour l'enfant mais la mélodie lui était familière, elle était celle qui l'avait bercé dans le ventre de sa mère. Laissant le vieillard, l'enfant courut au village chercher son arrière-grand-mère qui ne marchait ni ne voyait plus.
Il lui chanta l'air entendu et la vieille, s'aidant de l'enfant pour avancer, le suivit jusqu'au rocher.
Arrivée près du vieillard, l'enfant prit leurs mains qu'il réunit.
A ce moment, un arc-en-ciel se forma du rocher jusqu'à la rivière, les deux vieux s'avancèrent vers la rive sous les yeux de l'enfant souriant. Ils disparurent alors et dans le silence, l'enfant vit un beau poisson agile et délicat nager avec grâce sous les eaux de la rivière. Formant une dernière onde à la surface il partit pour toujours loin du rivage où encore aujourd'hui les enfants chantent le chant de l’eau.
18-12-2021
Rome
L’oiseau de Mars veille sur le lit de la louve offrante. Un souffle maternelle repose la forêt de printemps.
Comment reconnaître un droit à l’une des faces de ce berceau plutôt qu’à l’autre, égales opposées ?
Du haut de deux monts hissés de fierté, la loi tranche et l’avènement devient tombeau ; le fondateur sera seul, il pillera la gloire de la ville blanche de ses ancêtres pour l’asseoir au front impudent de l’empire qui finira dérisoire ; il s’adjoindra sans grâce la fertilité d’un autre peuple pour combler le refuge stérile des hommes avides de liberté.
La fondation de la cité radieuse, investie de huit collines, reposait sur l’acceptation gemellaire, l’alliance parfaite, la solide épissure, l’heureuse conjonction. L’oeuf aux deux noyaux abritant l’amertume, aucun rayon d’or ne put descendre au creux du Tibre, recueil des larmes de deux visages scindés par un sillon sacré qui se contemplent en Janicule exilé. Nommer la création valut plus qu’allier deux destinées, et Rome fut le nom d’une destinée céleste non révélée, de la voie non réalisée, d’une fondation sabotée avant même d’avoir existée.
A toi, Caiète, fidèle nourrice d’Enée au long cours.
8-12-2021
Ophélie
En des terres où les rois et leurs fils partagent une même signature.
En ce temps où les princes scellent leurs destinées sur les guerres de leurs aînés.
Lorsque le barde (1) te nomme (2), il te veut celle qui sauve, trois siècles (3) avant que ton père ne devienne poison sublime (4). Ouvrant le troisième acte, bien avant ton dernier pantomime, ton amour te pressent nymphe, emportant ses pêchés vers leur rémission. Est-ce là ta seule mission ?
« The fair Ophelia! Nymph, in thy orisons be all my sins remember’d. »
Lorsque le chant te porte, il t’ouvre à la déraison. Ce trouble où ton esprit se précipite est juste résonance d’un feu qui lui a feint le fol. C’est un saule, comme l’amour abandonné, qui craque et t’emporte « from her melodious lay to muddy death ».
Lorsque l’art te fige, il te livre immergée. C’est de ce monde incertain immobile, que tu offres à contempler, que le Ciel se révèle en tes yeux troublés.
« Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles » (5)
La démence donne-t-elle à voir ce que la prudence ne peut croire ?
Et l’eau est medium, autorisant le reflet. Eau et fou font l’alchimie d’une révélation, celle d’un nom soutenu par un rayon (6).
L’eau-fée lie.
(1) Surnom de Shakespeare.
(2) Le prénom Ophélie a été créé par Shakespeare.
(3) Hamlet fut joué pour la première fois en 1598.
(4) Le polonium est un métal radioactif volatil découvert par Marie Curie en 1898. Il peut se sublimer entièrement à température ambiante.
(5) Poème d’Arthur Rimbaud.
(6) Ophélie, vient du grec ὅπη qui signifie « dans la direction » et Ἥλιος qui signifie « soleil ».
5-12-2021
Afrique occidentale, XIIIe siècle.
Un homme se cache debout derrière un mur de pierre sous un soleil ardent, il transpire beaucoup et regarde derrière le mur, inquiet. Il est pauvrement habillé, comme un esclave domestique. Derrière le mur, une maison solide d'apparence riche. Après de longues hésitations, il se lance et court à perdre haleine devant lui en s'éloignant de l'enceinte, il va courir sans s'arrêter avec une énergie folle, jusqu'à un groupement d'arbres aux pieds desquels il se cache. Accroupi, il s'abrite sous des branches mortes. Après avoir écouté et observé, il gratte le sol avec ses doigts jusqu'à trouver un peu d'eau qu'il récupère avec une feuille et qu'il boit. Il reste immobile puis s'endort caché sous ses branches. Lorsqu'il se réveille, le jour commence à décliner, il sort prudemment de sa cachette. Il voit que la mer est proche, il marche en direction du rivage.
Arrivé au bord de l'eau, il scrute alentour. Son regard s’arrête sur une île en forme de petite montagne. Dans les derniers rayons du jour, de ces formes incertaines au large, l’homme croit voir se dessiner un dragon qui le regarde.
Un peu plus loin dans les terres, une fumée rougeoyante se reflète dans l’oeil d’un lion.
2-12-2021
Montagnes de Hongrie, nuit d'hiver.
Un homme est assis, attaché à un poteau, sous un abri pour chevaux dans un petit village d'une vallée, il est prisonnier.
Sans bruit, il parvient à défaire ses liens, va boire dans le seau des chevaux, puis s'empresse de défaire la longe d'un cheval roux.
Il marche d'abord doucement à côté du cheval puis quand il est suffisamment loin, il monte et lance sa monture au galop. Il est vêtu de peaux, il porte plusieurs gourdes attachées à sa ceinture sur lesquelles est gravé le mot "hechje". Très vite, il traverse des petites forêts, la pente devient plus raide, par endroit ça monte vraiment, le cheval fatigue, ils s'arrêtent protégés par les arbres. L'homme écoute tous les bruits. Il boit l'eau d'une de ses gourdes. Ils continuent en marchant, l'homme à pied à côté du cheval, et grimpent à travers les arbres jusqu'au sommet du mont.
En haut du mont très boisé, l'homme attache le cheval à un arbre et grimpe s'asseoir sur un rocher en regroupant ses jambes sous ses peaux. Il boit à nouveau l’eau d'une gourde. Il s'endort quelques instants en position de veille puis se réveille et voit une lame blanche sous le rocher. Il saute par terre et s'approche, c'est une épée qui est dissimulée là, il la prend.
En plein milieu de journée, un renard à l’affût voit le mont se recouvrir d’une brume blanche.
30-11-2021
Forêt de sapins dense, Suisse.
Pas d'indication de date, mais les habits de l'homme pourraient être ceux d'un homme de milieu rural fin XIXe siècle.
Un homme marche vite, il est pressé et regarde partout, tous ses sens sont en alerte. La forêt débouche sur une rivière qui serpente au pied d’une falaise sur laquelle sont accrochées trois échelles de bois. Il comprend que la France est de l’autre côté de la rivière. Il se jette imprudemment à l’eau et parvient à traverser dans quelques remous. La nuit tombe, il trouve abri sous un rocher et s'y endort épuisé.
Le lendemain matin, tôt, il se remet à courir le long de la rivière, il y boit et la longe en direction du sud-ouest. Il passe des villages, se cache, vole des pommes dans un verger. Il dormira encore sous des buissons feuillus.
Le lendemain il continue encore sa marche puis arrivé dans un petit village, quitte les rives du cours d'eau et bifurque vers le nord-ouest à travers champs.
Il traverse de petites forêts broussailleuses, la pente est plus raide, il entend de l’eau tomber, il se dirige à nouveau vers l'eau, cette fois c'est un cours d'eau plus petit avec une petite chute d'eau. Il s'y arrête et s'endort au bord de l'eau. Il se réveille quelques heures après, il fait encore jour mais la tombée de la nuit est proche. Sans raison, poussé irrésistiblement, il remonte le cours de la rivière. En pleine nuit, il arrive à sa résurgence au pied d'une falaise en hémicycle, l'eau sort d'une caverne en cascade.
Il grimpe jusqu'à la grotte.
Au petit matin, le coq du village voisin se réveille en regardant un nuage noir dans le ciel au-dessus de la caverne de la source.
15-9-2021
Al-Sahrā’
Terre écrasée de soleil,
Lumière franche aux reflets de sable,
Sifflant sourde et chaude,
Implacable.
Le grand désert rend le jour immobile.
Dans tes entrailles,
De sombres échos d’une lointaine flamme caressent les cuirs nègres
Où s’alanguissent les filles d’Eve parées d’or.
Tapissée de Sienne brûlée, l’antre exhale l’oranger,
Et l’apparat de bistre et de bronze luit dans l’ombre.
2-9-2021
Pietas et Culpa
Pitié et culpabilité sont deux fidèles compagnes des lendemains de grandes séparations.
Je m'invite sur ta paupière quand elle s'ouvre trop vite d'avoir voulu ne plus voir.
Tu tournes une page mais j'écris déjà sur la suivante. c'est une trace indigeste que je répands, je te surprends.
Tu te croyais sauve sans plus d'amour obligée et te revoilà embourbée car, douçâtre et insidieuse, je me prélasse sous ton regard, sûre de mon charme.
Je déforme tes sens et habille de vertus l'éventreur insensé qui t'a hier attristée.
Il reviendra vers toi dans son costume de misère et je jouerai à ses côtés en faux-bourdon pour deux choeurs l'Allegri qui enserre et s'adjuge ton coeur.
Tu ne sais qu'implorer, laisse !
Ne vois-tu pas que je te sauve du choix qui te heurte ?
T'éloigner sans moi t'aurait fait douter de ton humanité, alors que mon fanal enlumine le récit de ta mémoire, est-ce un leurre ? Au fond, je ne veux rien que ton bonheur.
C'est toi qui m'a appelée.
De quoi suis-je coupable si je ne suis que pitié.
1-8-2021
La fascination du miroir
Trivium et quadrivium sont les pierres angulaires de l’infernal univers et le diable est un bavard calculateur.
Dans ce monde danse le démon
Combat chorégraphié, pas de deux inspiré
Les adversaires sont des partenaires
Je suis Lucifer, je porte la lumière.
Envoyé dévoyé, le double est opposé
Mais à l’image du Grand Sage, telle une sphinge je singe.
Bonjour Adam je serai ton assistant.
Choisir le plaisir ou vouloir le devoir,
Lancer les dés ou travailler sans compter,
C’est sur la même trame que se tissent tous les drames.
Eve est ton double, différent forcément,
Elle te trouble, fascinante ressemblance.
Tu peux suivre la vouivre ou prier sous l’olivier,
Le choix est l’essence du divin, l’un ou l’autre le composent
Et le reflet te garde
L’écho flattant l’ego.
Ecoute vos deux choeurs dissonants au contrepoint tâtonnant !
Vous y êtes, en phase, emphase ! Percussions et tromblon,
Je suis la cochlée qui te guide et t’équilibre.
Je suis Lucifer, miroir de celui qui a fait la lumière
Sans moi elle s’effondre, sans Lui je ne suis plus ombre.
Tout est nombre, symétrie, dimensions,
l’harmonie naturelle est mon oeuvre bien réelle
Où je te trompe évidemment car un n’est pas premier
et l’or ne sert qu’à calculer.
Ebloui par mon génie, tu rêves du voyage vers l’infini
Ce n’est pourtant que jeux de psychés bien placés
Secrets de Pythagore répétés,
L’horizon t’attrape et t’enferme dans ma mire.
Tu crois que Dieu m’a vaincu, mais je ne suis que son double
Aussi longtemps qu’il règnera sur l’ordre, j’arrangerai le désordre
Nos puissances se valent, l’univers est loyal
Règles, codes, principes et lois
Equations, théorèmes, proportions et lois
— Un vrai dieu crée-t-il des lois ?
Ce monde n’est qu’un clown à deux faces, alliance impossible d’un habile merveilleux et d’une tarasque perverse, tressant de ses oscillations le canevas stroboscopique qui forme le décor de la vie d’homme.
Tu me regardes à présent !
Evidemment je te perds
Dément démens ! Tu cries maintenant ?
Vraiment tu t’égares, comment penser que je te parle d’autre que de moi,
J’aime que rayonne Sa gloire pour illuminer mes ténèbres et
Le verbe est notre territoire.
Et toi femme, parle ! Dis-moi tes souffrances
Pour que la prière te recentre. Pourquoi ce silence ?
Je peux te montrer du chaos la beauté
Où les monstres recèlent d’autosimilarité
Et la rugosité naturelle viendra te rassurer.
Des merveilles sans fond viennent de règles simples, répétées sans cesse (1).
Tu vois, là aussi je suis. Laisse-moi te raconter ce que je sais
Et suis-moi.
A cet instant dans ta tête une idée se construit
Et c’est déjà moi qui la gouverne.
La syntaxe structure toutes tes pensées
Elles ne sont que signes, et sans signes tu ne les conçois pas, tu ne les transmets pas.
Je suis le signe. L’âme est à Dieu.
Et qui mieux que moi connaît le langage de l’âme puisque l’âme est langage.
Tu vois, je gagne toujours. Dieu est mon allié.
— Un vrai dieu parle-t-il ?
Un vrai dieu dis-tu ? Je lis tes pensées qui ne peuvent s’empêcher de parler.
Il n’existe rien en dehors des règles de ce monde.
— Je le ressens pourtant dans le silence
Réfléchis à ton inconscience pauvre femme !
— Toute narration s’est tue, tout murmure s’est dissout
Tu parles encore, ce genre de silence m’est d’or.
— Mes mots t’amènent à lui, te gardent sur ce pont entouré de vide
Naïve attendrissante, je pèse lourd sur ta frêle passerelle, trop bruyant, je masque tes anges !
— Tout se tait. Il arrive.
Ha ha ha, alors je chante et j’exulte Sa gloire ! Plus Il brille, plus bas je descends, à la racine du mal, qui me nourrit d’intelligence. Alors ? Le vois-tu ? Le sens-tu ? Que dis ton intérieur exposé à tous les vents ? Rien ? L’expérience déjà prend fin ? Oh tant d’espoir et d’attentes. Tu n’as pas d’arme, ni science ni raison ni passion. Que veux-tu affronter petit être ? Il n’y a qu’un Etre à craindre et un Autre à vénérer. Entre ces deux pôles, tu peux dessiner ton courant, mais tu n’es qu’une vague nef qui jamais ne créera que la houle. Ah je sens ton désir d’absolu, c’est bien, tu chauffes ! S’absorber dans l’absolu est une quête de l’irrésolu, le temps te prend dans sa geôle, je me repose. Quel est ce souffle chaud qui monte et qui m’enivre … Je ne te crois pourtant pas capable d’un tel spiritueux ! D’où vient cette eau-de-vie qui coule dans tes veines ? Ne sais-tu pas que ma ruse parvient à remonter tous les cours ? Une rivière de mort s’écoule de mon Trône. Veux-tu combattre ? Réponds ! Tu ne redoutes donc pas ma présence … mais je fonds ! Dieu je brûle ! J’entends les Anges, tu es satisfaite, vas danser sous leurs harmonies, je reviendrai quand ils se seront estompés. Pourquoi me retiens-tu, sans rien faire tu me cloues, je reconnais ton talent. D’où vient ce feu que je ne vois pas ? Couple de pacotille ! Qui t’a fabriqué tout troué ? Réponds ! Tu ne m’amuses plus, je te fais grée de mes tortures, vas-t-en achever ton plan sous d’autres cieux, Dieu gérera. Laisse-moi je te dis ! Ma rage ne te dévore-t-elle pas ? Mais je brûle ! Dieu ! Dieu !! Où es-tu ? Où sont passés les jouets de ma torture ? Vais-je disparaître sans comprendre, moi qui compose tout le savoir, qui contient chaque intention ? L’alphabet s’érode, les particules de matière se dissolvent. Ai-je pu créer cette pluie magique qui détruit ma maison ? Où vais-je aller, moi qui ne me souvient même plus de mon arrivée ? Adieu ?
Reste la stupéfaction du couple originel qui vient de refuser l’argument.
Quelle ligne pourra se dessiner hors du Livre ?
A l’aube de la genèse il leur a été donné d’envisager la fin des temps, celle qui plonge l’homme dans l’injonction de se battre, qui l’oblige à débattre pour achever de tourmenter l’intuition omnisciente et qui clôt tout espoir. Ils s’y sont soustraits. Le Livre n’a pas été écrit. Adam et Eve ne sont plus.
Reste alors le sans nom.
(1) cette phrase est de Benoit Mandelbrot, Lucifer ne s’encombre pas des droits d’auteur (bottomless wonders spring from simple rules, which are repeated without end).
6-5-2021
L'envie
Une jeune fille regarde par la fenêtre la gardienne de l'immeuble qui ne la voit pas. Je regarde la jeune fille.
Je te vois petite femme
tranquille tu t’affaires
ton manteau chaud, tes simples chaussures,
les cheveux ramassés, tes gestes lents et décalés
tu ranges la cour sous ma fenêtre
tu ne sais pas que je t’observe
et Dieu, que je t’envie.
de case en case sans te soucier de faire une dame
tu sembles libérée de tes pensées
je sais le leurre de n’être qu’observateur
à trop s’absorber à suivre les pas dansés,
on ne voit que le ballet et non plus les pieds blessés.
Mais Dieu que je t’envie, simplement vivre.
Je te vois petite femme
allongée dans ton univers médicalisé
tes pieds inarticulés, ton souffle court,
gestes lents et calés
tu regardes par ta fenêtre la cour
tu sais que je t’observe
que je vois ton envie
caresser le damier de ce qui devrait être ta vie
tu sembles fuir mes pensées
je sais la douleur de n’être qu’observateur
à trop vouloir se voir danser
on ne s’aventure plus à marcher.
Dieu, où es la vie ? simplement vivre.
3-4-2021
Mars Lucens
Pour Marcel Nuss.
Tu es né avec le syndrôme du mobile.
Une envie de sommeil, les yeux ouverts.
Tu contemples et le temps passe.
Le potentiel du mouvement…
Ta permanence est une boucle de l’instant d’avant la mise en route, celui qui contient tout, celui où tout se trouve, exprimé non révélé, contenu, concentré.
Tu es une graine activée dans une échelle de temps distendue.
Tu portes l’effloraison sans viser l’anthèse.
C’est l’éruption qui t’importe, l’élan magistral, harmonieux, généreux, fort et délicat.
Un incertain assuré.
Loin du parvenu accompli, loin du désir assouvi, loin du seuil de la décadence.
Tu t’agites, tu danses, tu sursautes, tu pédales, tu ranges, tu dessines, tu cours.
Tu tombes, tu brules, tu casses, tu démontes, tu enchaînes, tu déchaînes, tu dévies.
Tu sais faire, quel intérêt.
Tu as juste voulu poser ton doigt sur l’incoercible, et il s’est laissé faire pour te permettre de l’admirer.
Tu as nagé dans la sève printanière, tu as tournoyé dans le feu du Krakatau, tu t’es baigné dans un nuage engorgé, et tu n’as plus voulu les quitter.
Tu es pleinement ce que tu es, la vie qui se laisse désirer.
19-3-2021
Le bourdon et le scarabée
Un rembourré bourdon butine lentement d’un grain fleuri de lavande à un autre.
Un irisé scarabée gratte une racine de rosier.
Ils se regardent parfois.
Le bourdon pense « je suis trop sensible pour me contenter de ta carapace, je ne vois que trop souvent ta surface, pourtant je veux te connaître au fond ».
Le scarabée se dit « je suis trop affectueux pour renoncer à ton poilu dos dodu, je ne vois que trop souvent ton ventre, pourtant j’aspire à voler plus haut blotti sur ton dos ».
Un jour de pluie, l’ailé musicien à fourrure patiente abrité au pied de sa lavande quand l’ailé musicien en armure s’aventure à l’approche.
— Tes pattes sont engluées de terre mouillée, grimpe jusqu’à moi, cette tige a de quoi nous supporter et tu pourras te nettoyer.
Emerveillé de l’invitation d’emblée, le scarabée enhardi claudique d’un déhanché endiablé et rejoint l’hôte perché tant admiré.
Une goutte d’eau bien placée lui radie l’embu, réhabilitant de lustre ses six fines rotules. Plus de mille yeux observent immobiles l’anatomie structurée de ce nouveau voisin de palier.
— A quoi te sert ce bouclier ?
Le scarabée est interdit, l’intelligente interrogation le pétrifie. Il intercède alors auprès de Sciron qui miracle obéit et s’en vient chasser la pluie.
Un rai d’or surgit, achevant la magie, déposant son obole sur la bombée courbure, révélant l’apparat d’une irisée parure.
Le bourdon frémit.
A cet instant, le jardin tout entier ne respire de sa rosée que pour porter l’air frais et doré s’envolant autour d’un buisson mauve en train de murmurer.
23-2-2021
La reine des voleurs
Nous l’observions tapis dans l’ombre.
Son panier d’olives sur la hanche, ses mains vives qui parlaient, la rue bourdonnait, elle passait.
Virevoltante de jour entre les coeurs et les poches, invisible la nuit.
Elle n’est pas chatte ni panthère, insaisissable, sans tanière.
Regarde sa jupe tournoyante et son oeil noir qui te paraît si bleu ; elle te dit qu’elle est la reine des voleurs et qu’elle est sans peurs. Tu ne connais pas son peuple mais tu la crois dès que tu la vois.
Solitaire dans son art, elle ne traine personne dans sa trace.
Qu'elle chasse ou qu'elle envisage, elle ne tolère que son reflet dans le regard de sa proie.
C’est une pierre noire née d'un volcan qui l'a crachée un soir d'été ; dans un crépuscule de lionne elle s'est parée de volutes et d'épaisses fumerolles, et n'a plus jamais regardé le sol. Au jour immaculé, elle était devenue femme d'albâtre.
Tu l'entends chanter. Ou est-ce ton ange qui crie "prends garde" ?
Derrière le voile de ses pensées déjà elle t'a oublié ; tu as eu ta chance, elle l'a emportée sans se retourner.
Où s’exile sa conscience ? Dans le carmin de son jupon, dans ta bourse emplie de laiton, dans les eaux jaunes du Danube, au sommet des monts Rhodopes ou sous la chaleur d'un sein sans nourrisson ?
Nous la précédons, nous l’attendons, sans qu'elle nous devine, elle sait où nous allons.
Nous avançons sans visages et sans nombre, nous sommes sa terre meuble et son tempo, c'est sur nos âmes qu'elle danse et rit, nous en sommes ivres.
Sitôt qu’elle quitte une rive commerçante pour un verger bigarré, elle n’y est plus ; l’or d’un voyageur l’aura appelée sur un chemin détourné. Econduite et malmenée, relevée de fierté que de douces brulures de soleil seules sauront apaiser.
Au soir elle s’évapore vers une indéfinie thébaïde, laissant l’esprit du larcin planer sur nous, nous enchaînant à l’envie de voir demain.
Nous formons un seul corps derrière notre mère, nous sommes l’âme de notre reine.
13-2-2021
Je m'appelle Albert, je suis l'arbre à nids
Cette fable est un hommage à un arbre que je saluais lors de mes balades nocturnes quasi quotidiennement. Il était particulier, surtout la nuit. Il était maigre et exactement comme je le décris. Un petit garçon a vraiment dit les mots que je cite. Il avait une présence qui me touchait spécialement, comme un ami. Et puis, une nuit, il n’était plus là. Juste une souche indécente.
J'ai lancé l'enthousiasme de ma première frondaison sous l'encouragement de joyeux peupliers et l'indifférence de deux grands chênes, ce n'était pas une parure tout à fait mature mais jamais elle ne le fut. C'est dans ma nature. Quelques branches biscornues et de petites feuilles en bouquets, c'est charmant a murmuré le vent.
Lorsque je fus assez solide pour ne pas blêmir, je survécus à la construction du grand stade en lisière de notre communauté et je fus le mieux placé pour en surveiller les travaux qui prirent fin en même temps que certains des nôtres. La hauteur aidant, je réalisais que nous n'étions pas une forêt mais du genre bosquet, déjà mitoyen de longue date d'une haute lignée très organisée faite de pierre lisse et d'ardoise rangée qui certains jours venaient nous saluer de leurs ombres géométriques.
Par l'inspiration bienvenue de ma mère l'air, qui avait porté cette graine généreuse au patrimoine inconnu, je me retrouvais moi à ce moment de ma vie à une place de choix : la grille entrecroisée de lances qui s'était posée juste à mes côtés marquait l'entrée du stade par laquelle des combattants se rendaient sur le terrain de leurs affrontements. Mes racines dessinaient même leur réseau sous l'allée qu'ils empruntaient et pouvaient parfois ressentir leur souffle impatient et leur coeur contenu.
J'étais devenu le gardien de la porte du stade, titre que celui qui dormait là m’avait, amusé, conféré.
La vigueur déterminée des pas de ceux qui me frôlaient nourrissait les scènes imaginaires de bataille que je me projetais ensuite au rythme des rumeurs et des hourras qui filtraient derrière l’enceinte et je vibrais de les accompagner.
Albert est un nom que ces courageux guerriers ont souvent prononcé, je me le suis approprié.
Tout à mon spectacle absorbé, je n'ai pas vraiment vu s'installer ces hôtes arrondis qui se sont invités près de mes feuilles. Lorsque leur poids m'a engourdi, ils étaient déjà trois.
Puis ils se sont reproduits, s’attirant, s’entraidant et bientôt ils étaient plus de dix.
Un passant les observa d’un air malheureux, mon ornement se nommait Guy.
Un petit garçon, qui pédalait le nez en l’air, les a admirés, "oh papa regarde tous les nids!".
Il est vrai que mes boules décoratives me valaient davantage de pépiements que mes amis voisins pourtant plus branchus et cet air enchanté qui froufroutait et m’emballait me nourrissait de la vigueur fraîche que mon liber peinait à distribuer.
Les nuits de pleine Lune me conféraient aussi un mystère malicieux quand mes bras lestés de planétoïdes figuraient de leur ombre une insolite astrographie sur l’allée du stade. Alourdi et affaibli mais sculpté, je contemplais alors sur ce sol éclairé de Lune mon anatomie unique dans la majesté de ses lignes.
Le dernier qui m’a approché portait une machine infernale qui me fit beaucoup de mal, mais ce faisant il me dit « de pas m’en faire, que pt’etre bien que j’ferai partie du bois d’la flèche violette de la Dame du ciel ». Jamais mots n’ont provoqué plus de chaleur électrique à travers mes vieilles trachéides en train de rendre l’âme, séparées qu’elles seraient à tout jamais de leurs soeurs souterraines aveugles à la prise de dignité qui s’opérait en surface.
J’allais donc serein rejoindre mes frères et répondre, ivre de cet impromptu glorieux, à l’appel de la Forêt.
Je ne sais si les chants émanant d’une cathédrale se portent plus vivants vers les cieux qu’ils visent lorsqu’ils sont guidés sur leur chemin par une âme heureuse, mais je me promis à cet instant de ma mort de consacrer mon bois endormi à soutenir leur portée.
Dans une décharge municipale un petit tronc léger git inconnu, autour de lui des oiseaux chantent et de délicates fleurs parfument son lit.
10-2-2021
Casper
Je pense à ce petit moment très précis dans la tête de mon chat, lorsqu’il se promène par les rues et les jardins dans la nuit finissante, où lui survient l’idée de rentrer à la maison. Ce doit être furtif et injonctif ce petit moment-là. Une impression visuelle ou sensitive de couleurs sombres et boisées, d’une moelleuse chaleur ou d’une calme odeur, qui forment l’alliage du souvenir qu’il s’est constitué de ma chambre. Et aussitôt il bifurque. Se glissant sous la haie ou sautant sur le mur, il se faufilera par la fenêtre de la cave, poussera quelques portes, trottinera dans l’escalier puis sautera sans bruit sur le lit qu’il inspectera d’appuis alternatifs de ses pattes avant, pour finalement se caler le long de ma jambe sur cette couverture de laine accueillante. Après une nuit de turpitudes plus ou moins réussies, il m’offre fidèlement son petit matin que nous partageons en rêvant serrés l’un contre l’autre.
31-1-2021
11
Sous la protection d’une sombre sylve il attend son cavalier qui ne vient pas.
Son poitrail chaud attire l’aérienne rosée, les naseaux en éveil observent les bruits alentour.
L’espérance sous-tend de silence la puissante ossature impassible et le coryphée de son cœur se dessine sur la canopée qu’il devine.
C’est une flèche qui traverse l’instant pétrifié qu’elle laisse derrière sa course. L’impact est à midi. Un coeur accélère dans l’air immobile.
Pieds nus sur la mousse, elle l’observe. La fièvre s’apaise.
Il emporte l’Atalante hors de l’abri de la frondaison, vers d’autres landes de conquêtes. Embrasées de soleil.
2-1-2021
La mélancolie de mes trois amis
Qui sont ces trois hommes au sourire triste et aux regards perdus vers d'autres ciels ?
L'un lance une danse vers un nuage,
l'autre s'abime autour de son centre sans gravité,
l'autre enfin chevauche l'horizon droit devant.
La danse ne s'envole pas plus qu'une plume sans gouvernail dans le vent, elle est trop dense d'une loyauté qui la ramène près des cotes du connu. Une connaissance qu'elle se plait à ne pas comprendre, la prenant rassurément pour son nuage léger dans la mire. Son âme vient d'une Geisha amoureuse. Ou d'une fleur que convoite la Geisha.
Lui, c'est un Modigliani, pas l'oeuvre, impossible d'être une créature. C'est Amedeo Clemente, le tuberculeux, le fils figuratif. Parce qu'il aime finalement les autres, il peint des visages sans regard, pour ne pas exposer le feu infernal qu'ils y verraient.
Quant à cette fière et haute nef, bravant les aquilons, bâtiment imprenable, toiles au vent. Elle s'est un jour fracassée mais ne le sent même plus. L'accent se porte ascendant, il prend le large pas dupe du butin qui l'attend mais pour s'éloigner des côtes. De la côte d'un Adam affaibli par un trait divin.
L'espoir les porte tous les trois, ils s'appuient sur la pente aspirante qu'elle soit bleue vaporeuse, sombre et pierreuse ou sillage éperdu.
Ils se parlent avec respect et savent ce qu'ils se doivent de tenir la mesure d'une note qui les pose dans leurs corps. Ils s'arriment parfois discrètement à ce ton puis se retirent dans cette chambre sans nom aux murs cinématographiques. Inéluctablement. En secret, tacitement convenu.
De là, leur chant reprend, il s'envole ou s'asphyxie, il exulte ou se consume, il vogue ou se noie.
Mais ils chantent.
6-12-2020
Langage et liberté
La langue est la contrainte d’un esprit qui veut sortir. A nommer, renommer, répéter, même les plus vifs finissent pourtant par s’y enfermer. Et tant de bavards et de perroquets fatigants.
Vois-tu comme le A t’emporte au loin rejoindre un M évanescent ? C’est un appât pour l’armada qui appareille en toi. Il n’est pas moins effroyable que l’E s’émerveillant d’un S autour duquel s’entortiller, car enserrer le trépied réservé permet de régenter. Que dit l’U qui plonge l’A magistral dans l’O et l’O dans le doute ? Et les autres ?
Ils valsent.
Le bal allègre des particules de discours fascine de maestria, d’un quadrille réglementé à une bachata ondulante, il se déploie et se replie sur lui-même sans laisser le moindre vide. Les crinolines gansées de syllabes s’agencent avec science d’un air léger pour masquer les entailles profondes que leurs fers laissent sur le parquet.
La première danse s’achève quand les répéteurs s’en viennent, portant fièrement l’étendard de tradition, ils reproduisent alors l’identique d’un ballet qu’on se surprend à redécouvrir tant l’ivresse de l’ouverture en a supplanté sa nature. Très admirés, ils se retirent enfin, sûrs des émules qu’ils lèguent au monde.
L’air est lourd. Mais l’assemblée s’anime, chacun soufflant avec brio ou maladresse un assemblage de mots qu’il a tantôt inspirés et recherchant son accord dans une fosse sans plus de musiciens.
O, que pourrais-je penser qui ne soit esclave de ces signes cabalistiques, accueillis dans mon oreille, intégrés par ma bouche, et qui tournent et tournent dans ma tête… Je souhaite être vide de mots. Et peut-être entendre enfin les volutes de l’air en moi, sans avis ni repère.
12-11-2020
Le kampaku, le shikken et l'éléphant
Cette courte fable relate une rencontre à travers les âges dans le vieux Japon. Kampaku était l’appellation réservée aux empereurs du Japon (du 9ème au 19ème siècles). Shikken désignait les chefs des Shoguns (du 12ème au 19ème siècles) qui assuraient le gouvernement militaire et civil du pays. Toyotomi Hideyoshi était Kampaku au 16ème siècle, nommé « Hiyoshi-maru ». Hojo Yasutoki était Shikken au 13ème siècle, l'un de ses noms était Kongo.
Hiyoshi-maru avançait sur une allée de sable bordée de galets, ses pas traçaient de légers sillons que le vent ne déplaçait pas. Sa main droite portait une lampe dardant six rayons. Il tenait son autre main dans les replis de son kimono. Une fleur de Paulownia ornait l’un des pans de sa ceinture.
Kongo avançait sur un chemin de terre bordé de bois, ses pas cadençaient une succession d’empreintes en équilibre que la terre ne recouvrait pas. Ses mains tenaient chacune un sabre d’égal calibre.
Hiyoshi-maru et Kongo se rencontrèrent.
Le Kampaku : J’ai fait partie de ta maison, je connais ton arme, Kongo.
Le Shikken : Tu dois m’appeler Kana, par le choix de l’esprit, et non par celui du père.
Le Kampaku : Qui de nous deux est l’éléphant ?
Le Shikken : C’est un singe qui interroge la raison ?
Le Kampaku : Je suis la force qui ouvre la voie.
Le Shikken : Je suis l’équilibre qui stabilise la voie avant qu’elle ne se dessine.
Le Kampaku : Un singe peut il suivre la raison ? Pas davantage probablement que deux frères ne pourront prendre la même route. Pas plus que l’épouse ne peut honnêtement marcher dans la trace de son époux. Pourquoi nos pas se rejoignent ?
Le Shikken : Penses-tu que tu marches sur Iwatayama (1) ?
Le Kampaku : Pas plus que tu ne crois te trouver à Arashiyama (1).
Le Shikken : L’éléphant nous porte tous deux, et nous ne parcourons que les sillons de sa peau ridée. Peux-tu le voir à présent ?
Le Kampaku : Je vois des milliers de sentiers semblables au nôtre qui n’ont pourtant jamais été tracés et qui existent de toute éternité.
Hiyoshi-maru et Kongo posèrent leurs attributs. Ils considéraient à présent la marche des éléphants.
(1) Iwatayama est la montagne aux singes, et Arashiyama est la forêt de bambous,
toutes deux à côté de Kyoto.
The kampaku, the shikken and the elephant
This short tale is about a time encounter in old Japan. Kampala was the name of the emperors in Japan (9th to 19th cent. AD). Shaken designated the chiefs of the Shoguns (12th to 19th cent.) who ensured the military and civil government of the country. Toyotomi Hideyoshi was Kampaku in the 16th century, named « Hiyoshi-maru ». Hojo Yasutoki was Shikken in the 13th century, one of his names was Kongo.
Hiyoshi-maru was walking along a sandy path lined with pebbles, his steps traced light furrows that the wind did not move. His right hand was carrying a six-ray beaming lamp. He was holding his other hand in the folds of his kimono. A Paulownia flower was adorning one side of his waistband.
Kongo was walking along a soil road lined with woods, his steps were cadencing a succession of balanced footprints that dust did not cover. His hands were each holding a saber of equal caliber.
Hiyoshi-maru and Kongo met.
The kampaku: I was part of your house, I know your arm, Kongo.
The shikken: You shall call me Kana, by the choice of the mind, and not by that of the father.
The kampaku: Who of us is the elephant?
The shikken: Is it a monkey questioning reason?
The kampaku: I am the force that leads the way.
The shikken: I am the balance that settles down the lane before it takes shape.
The kampaku: Can a monkey follow reason? No more likely than two brothers would take the same route. Nor can the wife honestly walk in her husband's track.
Why do our steps meet?
The shikken: Do you think you are walking on Iwatayama (1) ?
The kampaku: No more than you think you are in Arashiyama (1).
The shikken: The elephant carries us both, and we only walk through the furrows of its wrinkled skin. Can you see it now?
The kampaku: I see thousands of paths like ours that have never been drawn and that have existed from all eternity.
Hiyoshi-maru and Kongo put down their attributes. They were now considering the elephants walking.
(1) Iwatayama is the monkey mountain and Arashiyama is the bamboo forest,
both located west Kyoto.